Jazz News Hiver 2019
L’hiver, le froid… et le jazz qui résiste à toutes les intempéries.
Au menu de cette chronique, une sélection d’albums parus depuis quelque mois:
- Eric Legnini, “Six Strings Under” (6/9/2019, Anteprima Productions)
- Samy Thiébault, “Symphonic Tales” (20/9/2019, Gaya Music/l’Autre Disitribution)
- Ibrahim Maalouf, “S3NS” (27/9/2019, Mister Ibe)
- Benedicte Maurseth, “Benedicte Maurseth” (4/10/2019, Heilo/GrappaMusikkforlag)
Natif de Huy, le pianiste Eric Legnini a grandi avec un père fan de Django Reinhardt. Au fil de son parcours, il a croisé le fer avec le pilier du plat pays Philip Catherine ou la légende Toots Thielemans, harmoniciste mais aussi habile manieur de six-cordes.
Dans Six Strings Under, le lauréat de la Victoire du Jazz 2011 du Meilleur album de l’année célèbre la guitare sous toutes ses formes. Pas simplement l’art des standards (comme sur le classique des années 30, “Stomping at the Savoy”), ni l’art manouche qu’incarne parfaitement son guitariste Rocky Gresset. Mais aussi des guitares afrobeat à la Fela (“Boda Boda”), pop à la Radiohead (“Daydreaming”) ou bossa à la Jobim (“La Mangueira”, dédiée à son amie et complice brésilienne Marcia Maria disparue en 2018). On trouve même une reprise du sommet de Bowie “Space Oddity”, joué quasi-solo au piano, sans guitare!
Après son incursion dans les musiques caribéennes sur « Carribean Stories » en 2018, Samy Thiébault est de retour avec « Symphonic Tales ». Cet album relève un nouveau défi: faire dialoguer les cordes du classique, le jazz et la musique indienne.
Le saxophoniste-flûtiste s’était déjà essayé à écrire une symphonie alors qu’il achevait ses études musicales dans la classe de jazz du CNSM (Conservatoire National Supérieur de Musique) de Paris. À l’époque, il absorbe tout: John Coltrane, qui reste son dieu vivant, mais aussi la musique savante du début du 20e siècle. Coltrane aussi les adorait, ces fameux ragas indiens que Ravi Shankar a popularisés. Samy Thiébault s’en est lui aussi imprégné. C’est l’Orchestre Symphonique de Bretagne qui relève le défi avec à sa tête un jeune chef, Aurélien Azan Zielinski, lequel avait déjà dirigé, il y a deux ans, deux œuvres d’Omar Sosa. La prouesse réalisée tient beaucoup, également, à tout l’art de Philippe Teissier Du Cros, ce poseur de micros qui fait des miracles lorsqu’il est confronté à de fortes personnalités musicales, tandis qu’à la réalisation, Sébastien Vidal s’impose comme le véritable alter ego du saxophoniste lorsqu’il s’agit d’élaguer des partitions parfois touffues tout en mettant en relief leur ligne mélodique. Pour mettre en œuvre un tel projet, Samy Thiébault a souhaité retrouver le groupe mis entre parenthèses au moment de Caribbean Stories . Ce sont ses fondamentaux. Ils ont pour nom Adrien Chicot, Sylvain Romano et Philippe Soirat, auquel s’ajoute le joueur de tablas Mosin Kawa, décisif dans le choix des compositions.
Dès les premières notes de S3NS , on reconnait cette sonorité particulière de la trompette, ces inflexions en quarts de ton, ces arabesques qui viennent de l’Orient… Et pourtant, Ibrahim Maalouf se renouvelle. C’est tout à fait lui, mais avec une épice venue d’ailleurs, d’Amérique latine. Pour ce onzième album studio, il s’est tourné vers l’afro-cubain. A ses côtés, les pianistes Harold López-Nussa, Roberto Fonseca, Alfredo Rodriguez, le sax Irving Acao, la violoniste et chanteuse Yilian Cañizares. Et ça déménage ferme avec ses trois Belges qui l’accompagnent quasi toujours : Eric Legnini, François Delporte et Stéphane Galland.
Ibrahim fait toujours brûler la flamme du jazz mais il l’accompagne d’une énergie rock, d’acidité pop, de rythmes de salsa, de rumba, de calypso. Les puristes diront, une fois de plus, qu’Ibrahim Maalouf n’est pas un vrai artiste jazz, qu’il fait plutôt de la variété. Peut-être, mais qu’importent les étiquettes : cet album enthousiasme comme la plupart de ses précédents, émeut et donne envie de bouger, de vivre à temps plein. N’est-ce pas le mieux qu’on puisse demander à un artiste ?
La joueuse norvégienne de hardangfele (fiddle hardanger ) Benedicte Maurseth joue de cet instrument depuis l’enfance. Son album éponyme puise dans des airs traditionnels, s’inspirant du jeu des fiddlers plus âgés. Mais c’est aussi une exploration profonde du son et de la technique. Le violon hardanger a une sonorité remarquable, grâce à ses quatre cordes supplémentaires qui sonnent en harmonie et passent sous le chevalet du violon. Maurseth tire sur l’archet pour envoyer une note en harmoniques, comme un gémissement plaintif venant des bois. L’album est atmosphérique et visuellement saisissant. C’est le genre d’album à écouter profondément. Un des plus beaux albums de folk traditionnel de 2019, avec une pochette aux visuels noir et blanc sublime.