Dour Festival 2017 (Jour 2) : Temples of love
Après une douce mise en jambes, les choses sérieuses ont réellement débuté au Dour Festival ce jeudi 13 juillet. Au programme, l’éclectisme qui fait la réputation de l’événement depuis près de trente ans.
Un événement pour lequel rien n’a été laissé au hasard d’un point de vue sécurité. Il convenait de montrer patte blanche avant de pénétrer sur un site quelque peu réaménagé. Ainsi, par rapport à l’année dernière, le Labo a pris la place de la Petite Maison dans la Prairie qui elle-même se trouve à l’endroit où s’érigeait le Dance Hall. Mais le changement le plus radical concerne la célèbre Cannibal Stage remplacée par un nouvel endroit dénommé la Caverne.
Un espace inauguré par Animal Youth, introduits par Jacques de Pierpont (qui mettra trois jours avant d’enfiler son célèbre short en jeans). Les Bruxellois nous en avaient déjà mis plein la figure en support de Fews au Bota en février dernier, ils vont tout bonnement nous impressionner en ce début d’après-midi. Leur post-punk sombre passablement énervé qui laisse un espace aux mélodies nous renvoie du côté d’Eagulls en plus rugueux. Il faut dire que la voix du leader rappelle celle de Robert Smith alors que la basse proéminente confère aux compositions une atmosphère délibérément glaciale. Une terrible entrée en matière.
Le même endroit accueillait ensuite Rendez-Vous, les Français qui avaient assuré la première partie de
M83 à l’AB l’an dernier. Il semble qu’ils se soient adaptés à l’environnement Dourois car leurs influences new-wave synthétiques ont fait place à d’autres, lorgnant davantage du côté de l’EBM en moins extrême. Leurs synthés en rang d’oignons sont ainsi par moments délaissés au profit de guitares et de deux grosses voix rappelant l’univers de… Front 242, même si les nappes 80s adoucissent quelque peu l’ensemble.
Le voyage dans le temps s’est poursuivi sous la Petite Maison dans la Prairie avec le revival glam de The Lemon Twigs. Les (très jeunes) frangins New-Yorkais vivent en effet dans un monde où Bowie, Queen et Elton John caracolent toujours en tête des charts. Vintage dans tous les sens du terme (coiffure à la Ramones, accoutrement, lunettes,…), ils défendent un style musical hors du temps d’autant plus surprenant qu’ils n’en ont eu vent que via la discothèque de leurs parents. Ceci dit, leur show bien rôdé impressionne notamment via leur faculté de passer du micro à la batterie et des claviers à la guitare tout en assurant le spectacle visuellement (les grands écarts en apesanteur). À revoir au Nest à Gand le 8 novembre pour ceux qui les ont loupés au Bota et à l’AB au cours des derniers mois.
Le punk rock revival d’Idles remettra les choses en place à la Caverne. On comprend maintenant pourquoi les natifs de Brighton ont baptisé leur premier album « Brutalism » (qui, pour la petite histoire, figure parmi le top 20 des meilleurs albums sortis durant la première moitié de 2017 selon BBC6). Adeptes de titres francs et directs exécutés au son d’une rythmique infernale, le groupe emmené par le barbu tatoué Joe Talbot n’y va en effet pas par quatre chemins pour extérioriser sa rage. Au point d’établir un curieux paradoxe lorsqu’il communique en français avec le public d’adorable manière.
Notre première visite dans un Labo surchauffé s’effectuera au son des Français d’Agar Agar qui ont pris de la bouteille depuis leur visite à la
Rotonde du Botanique en tout début d’année. Le duo largement influencé par la pop du milieu des années 80 (on pense beaucoup aux Pet Shop Boys) propose un set en crescendo qui mutera vers de l’électro-house et verra la chanteuse pieds nus sautiller derrière son synthé. Rien toutefois comparé à la danse endiablée exécutée par leur tour manager en grande forme. Seul bémol, un final toujours aussi brouillon qui laisse un sentiment inachevé dans les oreilles.
Sous la Jupiler Boombox se produisait Kate Tempest, une poète britannique qui s’est essayée au hip-hop version spoken word en 2014 via l’acclamé « Everybody Down ». Sur « Let Them Eat Chaos », son deuxième album sorti l’an dernier, elle se veut encore plus acerbe. Si on a beaucoup parlé de son single « Europe Is Lost », « Ketamine For Breakfast » ou « Perfect Coffee » dépeignent avec autant de lucidité la société actuelle. Arborant une coiffure bouclée, elle impressionnera avec son flow clair et limpide accompagné de beats électro groovants et saccadés. Mais pourquoi répète-t-elle sans cesse l’heure bloquée à 4h18 ?
Il était en tout cas 17h30 lorsqu’une association aussi heureuse qu’improbable a entamé sa prestation sous la Caverne. D’un côté, les Bordelais de Cheveu, groupe alternatif par excellence. De l’autre, issue du Sahara Occidental, Group Doueh, formation emmenée par le guitariste Baamir Selmou, véritable star locale. Ensemble, ils ont enregistré un album que l’on pourrait qualifier d’indie orientale où chacun des sept musiciens conserve son identité. Sur scène, si l’union semble curieuse (ce n’est pas tous les jours que l’on voit une chanteuse voilée et des musiciens en costumes traditionnels à côté de rockeurs dans le pur sens du terme), elle fonctionne plutôt bien. D’ailleurs, le final verra les guitares prendre nettement le dessus (et pas nécessairement celles des Français).
Avec « Volcano », le maigrichon crollé James Bagshaw et Temples ont publié un deuxième album qui vient chatouiller la psyché-pop colorée de Tame Impala ou de Pond. Certes moins lancinant que « Sun Structures » (choisi par les collaborateurs de Rough Trade comme leur album de l’année en 2014), il a la faculté d’instantanément se caler au fond de l’oreille pour ne plus en ressortir (« Certainty », « Strange Or Be Forgotten »). Des titres qui ont mûri depuis leur visite au Beursschouwburg à l’occasion d’une
[PIAS] Nite en janvier dernier même si on pourrait leur reprocher de ne pas prendre trop de risques. Il n’empêche que le matos du groupe reste impressionnant (les pédales à effet du chanteur, notamment) tout comme leur faculté de s’immiscer dans un univers délibérément sixties. Et une mention à l’excellent « Open Air » qui synthétise parfaitement leur nouvelle direction.
En 2013, on découvrait les Strypes en première partie d’
Arctic Monkeys à Forest National. Quatre boutonneux qui avaient l’argent mais pas l’âge pour s’acheter une bière au bar de la salle. Quatre ados nostalgiques d’un son blues-rock cher aux débuts des Rolling Stones. Déjà virtuoses à l’époque, ils ont grandi et, mis à part l’insupportable bassiste au comportement puéril, dépassé ce qu’on pourrait appeler « l’âge bête ».
Ainsi, le chanteur Ross Farrelly au costume à carreaux et aux inamovibles lunettes de soleil, a trouvé cette attitude de frontman qui lui confère assurance et crédibilité, entre Suggs et Alex Turner. Il se concentre sur le chant (et sur les parties d’harmonica), laissant à ses compères le soin de mettre ses textes en musique analogique. Et à ce niveau-là, on ne peut rien leur reprocher tant tout est hyper pro, d’une puissance insoupçonnée et sans le moindre répit (le premier break n’interviendra qu’après… quarante-cinq bonnes minutes). Outre les extraits de « Spitting Image », leur récente troisième plaque, on retiendra la réinterprétation mature de titres plus anciens comme « Blue Collar Jane » et « Scumbag City », sans oublier ces quelques mesures du « Psycho Killer » des Talking Heads au milieu de « Still Gonna Drive You Home ». Tout n’est donc pas perdu pour ces jeunes pousses…
On n’en a pas encore parlé, mais les organisateurs ont dû faire face à un contretemps fâcheux avec l’annulation de Solange, l’une des têtes d’affiche de la journée. Celle-ci a été remplacée au pied levé par Gucci Mane… qui a raté son avion et qui est donc monté sur scène plus tard, chamboulant du même coup les horaires de la Last Arena. Compréhensif, Pacal Arbez alias Vitalic a adapté son emploi du temps et a gratifié les festivaliers de son show au visuel particulièrement réussi un peu plus tôt que prévu. Un show auquel il est difficile de ne pas succomber tant le producteur aligne les hits même si ceux de « Voyager », son quatrième album, ont un peu plus de mal à faire l’unanimité. On pourrait peut-être lui reprocher de n’occuper que partiellement la scène (juste lui derrière sa console) mais ce n’est qu’en assistant à la prestation de Justice le dimanche que l’on s’en rendra vraiment compte.
Un petit coup d’oreille au set de l’influent producteur Norvégien Todd Terje et il était temps de quitter la plaine de la machine à feu en prévision d’un vendredi qui s’annonçait dantesque.
Photos © 2017 Olivier Bourgi