Dour Festival 2017 (Jour 3) : dilemmes, dilemmes…
Concentré aigu de programmation hors pair, la troisième journée du Dour Festival nous a fait tourner la tête, choisir et par conséquent renoncer…
Le coup d’envoi de ce vendredi fou a été donné sous la Caverne par les Liégeois de It It Anita dont la réputation dépasse largement la frontière linguistique et celles du Royaume. Ils ont d’ailleurs enregistré leur premier album avec le célèbre John Agnello qui s’est notamment occupé de Sonic Youth. Il va sans dire que l’on retrouve des traces marquées de l’ex-groupe de Thurston Moore dans leurs influences, principalement lors de passionnées parties instrumentales d’une puissance rare, amplifiées par le fait qu’ils jouent en cercle dans un mouchoir de poche au milieu de la scène. Une scène qu’ils quitteront pour aller terminer leur set au beau milieu du public (embarquant avec eux une partie de la batterie).
Les quelques gouttes tombées entre-temps formaient le parfait prétexte pour aller jeter une oreille à WWWater, le groupe emmené par Charlotte Adigéry (l’excellent « The Best Thing » sur la BO de « Belgica », c’est elle). La chanteuse à la coiffure afro et à la solide voix soul possède en plus une présence scénique époustouflante.
Dans un tout autre style, on pourrait presque dire la même chose du Prince Harry, le duo déjanté qui a fait trembler le Labo sur ses bases dans la foulée. Un genre d’électro-punk non conventionnel avec des voix qui le sont encore moins. Pas pour rien qu’ils ont enregistré un album avec Duchess Says (le guitariste arbore d’ailleurs un t-shirt du groupe frappadingue Canadien).
Retour à la Caverne avec Twin Peaks, les natifs de Chicago qui ont indirectement profité de la promotion entourant la troisième saison de la série du même nom. Ceci dit, leurs influences n’ont pas grand-chose à voir avec les atmosphères dégagées par l’esprit torturé de David Lynch. On se retrouve ici dans un melting-pot associant rock indé, blues musclé et rock US traditionnel dans lequel la mélodie conserve une place de choix.
Un peu plus loin, sous la Petite Maison dans la Prairie, Wuman, les gagnants du dernier Concours Circuit (mais aussi du Tremplin de Dour en 2015) entamaient leur set largement inspiré, à l’image de leur premier EP, par la gent féminine. « Portraits » se décline en effet en six titres et autant de prénoms féminins illustrés par des vidéos projetées à l’arrière de la scène. Des compositions musicalement très riches dont le petit côté pop envoûtant les rend de plus en plus indispensables au fil des écoutes et des concerts.
Rappelez-vous, lors du jour d’ouverture, on découvrait avec des yeux ébahis le vocabulaire fleuri de Vald et de Damso. Mais cet après-midi, Alkpote allait encore faire plus fort entre drogue, magouille et misogynie. Morceaux choisis : « S**e-moi jusqu’à l’épuisement », « Coup d’b**e rotatif, blessure anale » ou encore, « Le jus arrive, ouvre ta bouche mais ferme ta gu**le ». Mais c’est lors de son tube « Pyramides » que cela devient interpellant puisque chaque rime est ponctuée d’un affectueux p**e, sa**pe ou s**e, repris en chœur par un public constitué notamment de jeunes filles dont on se demande vraiment si elles captent la portée de ses propos. Le débat peut continuer…
Heureusement, le rock ‘n’ roll nous sauvera de ce monde en perdition. Et The Moonlandingz était le groupe le plus indiqué pour nous extirper de cette impasse. Enfin, pas vraiment en ce qui concerne la drogue vu la réputation de Lias Saoudi et de Saul Adamczewski, les membres de Fat White Family qui composent une partie de ce supergroupe indie, complété par des membres d’Eccentronic Research Council. Leur premier album, « Interplanetary Class Classics », produit par Sean Lennon, parvient à conserver une certaine homogénéité. Sur scène, en revanche, cela reste brouillon et dérangé (Lias se produit notamment… en jupe). Des titres comme le très Velvet Underground « The Strangle Of Anna » ou l’hypnotique « I.D.S. » pourraient même devenir de futurs classiques, toutes proportions gardées.
Il convenait de ne pas arriver en retard au concert des Liégeois de Cocaine Piss au Labo, d’autres déjantés par l’intermédiaire de leur chanteuse moins blonde que précédemment mais toujours aussi barrée. Elle va passer plus de temps que d’habitude sur scène mais ne va pas résister à l’idée de se fondre dans la foule en hurlant à tout va. On a par ailleurs l’impression que les musiciens ont encore élevé leur niveau, ce qui va amplifier davantage cet ouragan sonore qui n’aura duré que 23 minutes. Mais quelles 23 minutes…
Entre-temps, on aura loupé Alex Cameron, à cheval sur les deux prestations précitées. Un moindre mal puisque l’Australien sera de retour au Botanique le 27 novembre après son triomphe lors des récentes Nuits. En revanche, pas de séance de rattrapage prévue pour All Them Witches à l’heure actuelle. Il ne nous reste donc que la photo ci-dessous et nos yeux pour pleurer au vu des témoignages élogieux unanimes glanés de par le site.
On l’a dit, cette journée était placée sous le signe des dilemmes et on a été contraints de jongler pour ne pas devoir faire l’impasse sur l’un ou l’autre groupe. Une manière comme une autre d’agir mais avec l’inconvénient de n’assister qu’à des moitiés de prestations, générant de facto un goût de trop peu. Ainsi, les p’tits gars de Liverpool nommés Circa Waves ont emballé la Caverne via les hymnes indie pop qui émaillent leur énergique deuxième album (« Different Creatures ») dont « Wake Up » et « Goodbye » ne sont pas les moins percutants. Ils ont livré ce soir un set convaincant bien plus en adéquation avec leur potentiel que lors de leur visite ici-même en 2015.
Après un tel étalage d’uppercuts, la prestation de Blonde Redhead en cours sous la Petite Maison dans la Prairie ne pouvait que nous paraître bien pâle. Le genre de concert où il est indispensable de se laisser envoûter dès les premières notes et d’accompagner le trio dans ses contrées imaginaires pas toujours très simples d’accès (on pense notamment à « 3 O’Clock », le dernier EP sorti au printemps). On conservera donc dans nos souvenirs leur récent concert au
Botanique ainsi que l’image du béret porté par Kazu Makino ce soir.
C’est donc sur la Last Arena que l’on s’est dirigés pour assister au set de Two Door Cinema Club. Les Irlandais avaient déjà balancé les hits du premier album, comme lors de leur visite à
l’AB en février dernier. Mais ce soir, ils se sont montrés nettement plus en verve et jouaient en toute décontraction. Est-ce le nouveau look du chanteur qui a enfin décidé de se raser les cheveux (on dirait un autre homme) ou l’atmosphère typique de la plaine de la machine à feu qui les ont libérés, toujours est-il que l’on a découvert d’une autre oreille les titres du (relativement faible, avouons-le) dernier album, « Are We Ready? (Wreck) » et « Lavender » en tête.
Malgré un set parfait sur la Main Stage à Werchter voici quinze jours, l’intensité dégagée par The Kills ne prend vraiment toute son ampleur que dans un endroit confiné. La Caverne était donc toute indiquée pour laisser la blonde Alison Mosshart et son acolyte guitariste Jamie Hince s’exprimer. Le groupe fête son quinzième anniversaire cette année et sort pour l’occasion un EP acoustique dont ils ne joueront malheureusement aucun titre ce soir (si ce n’est « Echo Home » mais pas dans sa version dépouillée), préférant se concentrer sur un set best of. Parmi les moments forts, retenons « Doing It To Death » (leur moto), « Tape Song » et surtout « Black Balloon », intense perle magnifiée par la complicité délicieusement malsaine qui unit le duo. À ce propos, Alison était particulièrement bien en verve ce soir. Malheureusement, les photographes n’étaient pas admis pour immortaliser le moment.
Les Canadiens de Crystal Castles ont beau avoir changé de chanteuse (on se demande d’ailleurs si le terme est bien choisi…), ils adoptent toujours une attitude extrême qui se décuple en live. Il vaut mieux ne pas souffrir d’épilepsie tant les effets stroboscopiques sont légion et systématiques. Cela rend finalement leur prestation linéaire et brouillonne, bien que toujours aussi populaire. La Caverne débordait en effet bien avant le début de leur prestation, mettant en exergue la transition entre rock et dance qui s’opère généralement vers minuit à Dour.
Photos © 2017 Olivier Bourgi