Albums de légendeChroniques

BLACK SABBATH – Paranoid

Notre évaluation
L'évaluation des lecteurs
[Total: 0 Moyenne: 0]

Le 18 septembre 1970 est une date symbolique pour l’histoire du rock. C’est le jour de la mort de Jimi Hendrix et celui de la sortie du deuxième album de Black Sabbath, ʺParanoïdʺ. Au moment où disparaît une des figures des années 60 hippies, droguées et pacifiques, apparaît le disque qui va représenter toute la brutalité et la puissance mécanique du heavy metal des années 70, décennie qui enterre définitivement le rêve hippie et inaugure le modernisme implacable que nous vivons encore aujourd’hui.

Revenons donc en 1970 pour nous intéresser à la genèse de cet album fondamental. Black Sabbath vient de faire une entrée fracassante dans le monde du hard rock avec son premier album ʺBlack Sabbathʺ, sorti en février de cette même année. La réputation du groupe d’Ozzy Osbourne, Geezer Butler, Bill Ward et Tony Iommi s’enfle au fur et à mesure que le groupe tourne un peu partout en Angleterre. Fin juin 1970, un petit passage dans quelques festivals allemands permet de consolider les positions outre-Rhin, où le Sab jouit d’une grande réputation. Le manager Jim Simpson aimerait bien amener ses poulains aux Etats-Unis (où l’album se vend très raisonnablement) mais la réputation sulfureuse de Black Sabbath qui émerge quelques mois après l’affaire Manson dissuade les tourneurs américains d’accueillir le Sab sur leur sol. On commence effectivement à raconter tout et n’importe quoi sur Black Sabbath. Entre le nom du groupe, les paroles inspirées des films d’horreur de la Hammer, la croix renversée de la pochette intérieure du premier album (une décision de la maison de disques), le groupe se retrouve taxé de satanisme. Mais ceci est pour l’instant le dernier des soucis de Black Sabbath. Ce qui le préoccupe surtout, c’est la multiplication des concerts mal payés et les initiatives hasardeuses de leur manager Jim Simpson. Celui-ci ne fait qu’honorer des engagements pris bien avant que Black Sabbath ne monte en puissance, ce qui oblige le groupe à jouer dans de petites salles pour une rémunération modeste. De petites disputes éclatent à ce sujet entre Black Sabbath et son manager et bien que le Sab ait décidé de rester avec Simpson, ils notent bien à propos les propositions faites par le producteur Don Arden (qui s’occupe déjà des intérêts des Move) et dont deux des disciples, Patrick Meehan et Wilf Pine, viennent de s’émanciper pour fonder leur propre agence. Ce sont précisément eux qui parviennent à convaincre Black Sabbath de rejoindre leur écurie. La conséquence est que Jim Simpson reçoit un jour de septembre 1970 une lettre dénonçant leur association. Il s’en suivra un long et difficile procès qui n’apportera pas beaucoup de compensations financières aux parties en litige, sauf pour les avocats…

En septembre 1970, les destinées de Black Sabbath sont entre les mains de Patrick Meehan et Wilf Pine. C’est à ce moment que sort le deuxième album ʺParanoïdʺ, déjà enregistré depuis juin. Les conditions d’enregistrement ont été les mêmes que pour ʺBlack Sabbathʺ : une semaine de studio et des méthodes de compositions très spontanées. C’est ainsi que le titre ʺParanoïdʺ, incontestablement la chanson la plus célèbre de Black Sabbath, est composée en dix minutes sur un coin de table. ʺParanoïdʺ figure en deuxième position sur la face 1 de l’album portant le même titre. Le premier titre est l’effrayant ʺWar pigsʺ, qui démarre sous des roulements de riffs énormes s’extrayant d’une rythmique incroyablement gluante (aux origines de ce que sera le doom metal plus de quinze après). Ozzy y entonne un chant péremptoire qui dénonce les “cochons de guerreʺ, ces fauteurs de conflits qui finiront en enfer. Nous sommes alors en pleine guerre du Vietnam et ces paroles, associées à une intro sinistre reposant sur des sirènes annonçant un raid aérien, font de ʺWar pigsʺ une des chansons les plus angoissantes du répertoire de Black Sabbath. Vient ensuite le célèbrissime ʺParanoïdʺ, magnifique exercice de binaire simplet et rapide qui pose à jamais les bases de ce que doit être le heavy metal dans l’acception la plus totale du terme. Ici, en trois minutes chrono, tout est dit, le larcin est commis et les graines sont jetées. Elles donneront des champs de métal qui s’étendent aujourd’hui à perte de vue. Extraite en single dès le mois d’août 1970, la chanson ʺParanoïdʺ grimpe à la 4ème place des charts anglais, entraînant l’album du même nom à une stupéfiante première place le mois suivant. Par rapport à son prédécesseur, ʺParanoïdʺ est plus élaboré, gère savamment les effets angoissants qu’il distille au fil de titres planants et orientalisants (ʺPlanet caravanʺ) ou de décharges électriques imparables (le monstrueux ʺIron manʺ, forfanterie tellurique qui révèle entre ses lignes des poussées d’adrénaline progressives rivalisant avec les duels orgue-guitare chers à Deep Purple). Ici encore, Iommi use et abuse des demi-octaves interdits au Moyen Age par l’Eglise, la fameuse quarte augmentée chère aux groupes de heavy metal. Les bases du doom sont encore posées avec ʺElectric funeralʺ, titre macabre qui évoque la destruction par le feu nucléaire. Le thème de la guerre revient également sur ʺHand of doomʺ, qui établit un parallèle entre les désillusions de la guerre et la tentative d’oubli dans les drogues. Malgré un démarrage très lent, des breaks lancent des riffs très durs, qui font de ce morceau un chef-d’œuvre du genre, totalement intemporel. Il suffit d’évoquer les nombreuses reprises faites par des groupes actuels pour comprendre toute l’importance que revêt cette chanson pour le métal contemporain. L’album se termine avec l’instrumental ʺRat Saladʺ et ʺFairies wear bootsʺ, un morceau composé à la suite d’une bagarre avec des skinheads et qui évoque les Doc Marten’s que les Skinheads portent (les “fairiesʺ – les fées – étant un terme d’argot pour désigner les homosexuels).

Ici encore, c’est le sans faute, aucun temps mort, tout en puissance. L’album est mieux maîtrisé, plus efficace dans le coup au but et a abandonné ses oripeaux blues au profit d’une véritable science du métal lourd. L’album devait à l’origine s’appeler ʺWar pigsʺ, mais le titre est remplacé par le titre du single. Typiquement conservateur, le label américain Warner Bros. sent que ce titre peut déplaire à un public américain encore embourbé dans la guerre du Vietnam, thème évoqué plusieurs fois par l’album. La décision de changer le titre de ʺWar pigsʺ en ʺParanoïdʺ est prise trop tard pour pouvoir changer la couverture, ce mystérieux guerrier du futur agitant un sabre au sortir d’un bosquet nocturne (au demeurant l‘une des pochettes les plus moches de Black Sabbath). Prophétique semble aussi être la coupure entre Ozzy Osbourne et le reste du groupe sur la photo qui orne la pochette intérieure. Bien que l’album ne contienne aucune parole satanique, le nom du groupe et son son envoûtant et sinistre (en plein flower power, juste un an après Woodstock!) fait merveille pour attirer un public à l’obsession malsaine pour l’occulte, spécialement les jeunes Américains. Le chef sorcier Alex Saunders jette un sort protecteur sur le groupe, aussi longtemps que ses membres porteront des crucifix, après qu’une malédiction a été lancée à la suite d’un refus de Sabbath de jouer dans un concert à Stonehendge. Quelque soit le crédit que l’on puisse accorder à de telles histoires, la publicité est grande pour le service de presse de la maison de disques.

Bien sûr, l’Histoire va prendre le relais pour nous faire comprendre les bienfaits de cet album, ne serait-ce que par les millions d’exemplaires vendus de par le monde depuis un demi-siècle. Mais la critique a aussi planté ʺParanoïdʺ dans le marbre des grands classiques. En 1989, le magazine rock ʺKerrang! place l’album à la 39e place de ses 100 plus grands albums de heavy metal de tous les temps. En 1994, le critique Colin Larkin le glisse à la troisième place de son top 50 personnel des plus grands disques métalliques. Puis c’est ʺQ Magazine qui le place en 1999 dans les meilleurs albums gothiques de tous les temps. En 2003, ʺParanoïdʺ est classé 130e des 500 meilleurs albums de tous les temps selon le fameux journal Rolling Stone, qui finit par le considérer en 2017 comme le meilleur album de heavy metal de tous les temps. Normal, puisque Black Sabbath est le plus grand groupe de heavy metal de tous les temps. Et comme c’est lui qui a créé le genre, tous les groupes qui l’ont suivi par la suite ont quand même des questions à se poser…

Première édition : 18 septembre 1970 (Vertigo 6360 011, vinyle, pochette dépliante)
Dernière édition : 2016 (Warner Bros. R2 556692, Super Deluxe Edition Bonus CD, Box Set, Deluxe Edition, remastérisé)

Laisser un commentaire

Music In Belgium