Les Nuits 2025: Stereolab en apothéose
La dernière Nuit 2025 a failli se retrouver gâchée par une météo capricieuse mais il n’en a finalement rien été. En effet, contrairement aux coureurs des 20 kms abondamment douchés le matin même, les festivaliers ont eu droit à un soleil certes moins généreux que les jours précédents, mais à un soleil quand même. Tout bénéfice pour une programmation articulée autour des légendaires Stereolab.
Mais avant de retracer le fil de la journée, place au bilan de ces Nuits nouvelle mouture dont le concept du ticket unique a visiblement séduit le public. Avec 18.000 tickets répartis sur les 10 jours de l’événement, on peut effectivement parler d’un franc succès. La Fountain Stage, nouvelle scène en plein air et point central du festival, a d’ores et déjà remplacé le chapiteau dans le cœur des spectateurs. Quant aux soirées thématiques, elles ont permis d’affiner les découvertes pertinentes tout en conservant une certaine homogénéité et la touche Bota.
Présents pour leurs deuxièmes Nuits d’affilée (l’an dernier, ils avaient joué en support de Corridor), les Liégeois de Chaton Laveur ont ouvert le Museum à l’heure de la sieste. Si leurs entêtantes compositions à tendance pop hypnotiques teintées de kraut se révèlent davantage les yeux fermés, elles n’invitent toutefois pas à l’assoupissement. D’autant qu’il s’agit de la dernière date bruxelloise en support d’« Etat sauvage », un premier album dont les extraits se sont bonifiés au fil des prestations. Le duo travaille actuellement sur son successeur et les inédits présentés ce soir montrent des influences plus sombres et flippantes dont un groupe comme Beak> se régalerait. Rendez-vous l’an prochain pour la passe de trois ?
Riya Mahesh aka Quiet Light se produisait ensuite sur la Fountain Stage mais n’a pas déchaîné les passions. Perdue sur l’immense scène vide à proximité d’un ordinateur portable qui diffusait les parties instrumentales de ses chansons, la native d’Austin semble participer à un karaoké sans entrain, allant même jusqu’à se croiser les bras par moments. Pourtant, musicalement, son indie-folk inspirée de l’univers de Boygenius tient la route. On a espéré jusqu’au bout voir débarquer un invité surprise et ainsi expliquer la présence d’un deuxième micro. Mais là aussi sans succès.
Direction ensuite l’Orangerie pour le langoureux set d’Acopia, trio originaire de Melbourne emmené par Kate Durman dont la voix cotonneuse enveloppe des compositions envoûtantes autant inspirées par The Cure que The xx. Ténébreuses, certes, mais rehaussées de riffs cristallins, d’une basse discrète et d’une boîte à rythmes judicieusement dosée. Sans parler des bruitages injectés çà et là pour un résultat bluffant parfaitement synthétisé sur l’impeccable « Holding On », un extrait de leur dernier album en date publié fin 2023. En outre, l’absence d’émotion sur le visage des musiciens n’altérera en rien l’aura de cette dream pop futuriste qui ira même titiller la guitare de New Order sur un titre en fin de set.
La Fountain Stage accueillera ensuite deux projets radicalement différents mais aux préoccupations émotionnelles semblables. Mark William Lewis tout d’abord, crooner londonien à la voix caverneuse dont les titres ressemblent à s’y méprendre à des hymnes indie savamment orchestrés. Un chouia dépressifs, la mélancolie qui s’en dégage prend aux tripes, d’autant qu’il sait également se montrer mordant malgré l’utilisation régulière d’un harmonica. Mais c’est son organe vocal qui laisse pantois, quelque part entre le timbre du regretté Rowland S Howard (un ancien Bad Seeds) et le phrasé de Marc Dixon.
Issus également de la capitale britannique, le trio Still House Plants officie dans un registre davantage déstructuré. Subtilement expérimentales, les compositions traduisent une santé mentale fragile, largement appuyée par les incantations arabisantes de Jess Hickie-Kallenbach. Malgré son enthousiasme, cette dernière semble réfugiée dans son monde et a du mal à appréhender le public. Si l’exploration sonore entre arythmies et semi-improvisations a de quoi satisfaire les plus exigeants, elle peinera à captiver un public somme toute assez dissipé.
C’est un gros morceau qui leur succédera sur la même scène un peu plus tard. Car dans le registre groupe culte qui revient sur le circuit, Wu Lyf était celui qui pimenterait le plus cette Nuit dominicale. La bande à Ellery Roberts était passée par l’Orangerie en mars 2012 lors de la tournée en support de son unique album, « Go Tell Fire To The Mountain ». Quelques mois plus tard, la brève aventure se refermait et le gaillard s’en allait former Lost Under Heaven avec sa compagne, passé notamment par les Nuits 2016.
Les membres du groupe ont beau avoir pris des rides et perdu quelques cheveux dans l’aventure, ils ont l’ait heureux de se retrouver impliqués dans un projet sans doute amené à évoluer puisque de nouveaux titres seront joués ce soir. Parmi ceux-ci, le récent et excellent single « A New Life Is Coming », balancé toutes guitares en avant et « Letting Go », moins exubérant mais tout aussi art-rock. Ils ne dépareilleront pas aux côtés des extraits de l’album susmentionné, transfigurés par l’hibernation forcée. Bon, tout n’est pas encore parfait et la voix poussée du leader peut parfois taper sur le système mais le second round semble s’annoncer sous de bien meilleurs auspices.
En 2023, Bar Italia avait rempli sans peine le Museum. Ils avaient publié cette année-là deux albums en six mois avant de disparaître de la circulation. On sait désormais qu’ils se sont concentrés sur des projets parallèles qui ont entouré aujourd’hui la prestation de Wu Lyf. Nina (Cristante) s’est d’abord produite seule dans ce même Museum, posant dans un premier temps sa voix sur des bandes. Mais contrairement à Quiet Light un peu plus tôt dans la journée, son attitude et son charisme ont pris le dessus. Tout comme sa voix à la Patti Smith au service d’un univers rappelant celui de PJ Harvey. Jusqu’ici frileuse, elle laissera alors tomber la veste pour laisser apparaitre un top en dentelle noir affriolant avant de se positionner derrière un grand piano pour une poignée de compositions à fleur de peau. Un moment suspendu loin de ses racines post-punk et une ouverture vers de nouveaux horizons.
Une constatation moins marquée du côté de l’Orangerie pour Double Virgo, le projet réunissant Sam Fenton et Jezmi Tarik Fehmi. Les deux guitaristes de Bar Italia, entourés d’un batteur et d’un bassiste, privilégient quant à eux l’énergie et la complémentarité de leurs voix. Même si celle du premier nommé se voit davantage mise en avant, à l’inverse de son implication dans la dynamique du trio londonien. Pleines de punch, leurs efficaces compositions empruntent tant au glam qu’au punk tout en soignant les contours mélodieux et l’aspect dark juste ce qu’il faut. Le tout sonnant très fin des seventies tout en restant finalement assez actuel.
Depuis leur reformation en 2019, les Londoniens de Stereolab ont surtout soigné leur héritage artistique en promotionnant sur scène la campagne de réédition massive dont ils ont fait l’objet. D’autant qu’elle ne s’est pas limitée aux albums qui ont fait leur renommée dans les années 90. Les célèbres compilations « Switched On », témoins d’une pléthorique discographie, ont également reçu une cure de jouvence dans la foulée. Mais aujourd’hui s’ouvre un tout nouveau chapitre de l’histoire du groupe emmené par Laetitia Sadier. La sortie toute fraîche d’une nouvelle plaque, quinze ans après la précédente.
La bonne nouvelle, c’est qu’il ne s’agit aucunement d’un coup dans l’eau. « Instant Holograms On Metal Film » tient la route et réunit les ingrédients phares d’un album de Strereolab : sensibilité, avant-gardisme mesuré, pop sophistiquée, pointes tropicales et touches électroniques retenues. Il constituera d’ailleurs la majeure partie d’une set-list envoûtante entamée par le sulfureux « Aerial Troubles » au terme duquel la chanteuse retirera bonnet et écharpe pour se donner pleinement à son rôle de vocaliste à la présence somme toute discrète mais diablement essentielle. Bien aidé par un son impeccable, le groupe se donnera corps et âme, n’hésitant pas à monter dans les tours (« Peng! 33 ») ou à virer jazzy solaire (« The Flower Called Nowhere ») et Laetitia à afficher son aisance au trombone (« Melodie Is A Wound »). Ou comment clôturer les Nuits sur une note intemporelle…
Organisation : Botanique