Le phénomène King Gizzard & The Lizard Wizard
Précédés d’une solide réputation scénique, King Gizzard & The Lizard Wizard ont rempli deux fois la grande salle de l’AB. À la clé, des prestations complémentaires destinées à ceux (et ils sont nombreux) qui avaient choisi de rallier le complexe du boulevard Anspach les deux soirs.
Avec deux albums publiés cette année, on savait les Australiens prolifiques. Lors de leur visite bruxelloise, ils ont démontré qu’ils étaient également généreux. Deux premières parties de quarante-cinq minutes chacune et une after étaient en effet prévues au programme d’une soirée débutée à 18h30. Mais ce n’est pas tout. Équitables et respectueux, ils ont confié les supports à un quatuor masculin et un autre féminin en prenant soin d’inverser leurs positions le second soir.
Honneur aux dames avec Stonefield, les sœurs Findlay qui non seulement partagent le même coiffeur et le même tailleur mais surtout la même passion musicale depuis leur plus tendre enfance. Focus sur Amy la chanteuse batteuse qui fait distinctement claquer les différents éléments de son instrument entre sourires, voix hargneuse et cheveux au vent. Sarah la claviériste apporte quant à elle une légèreté à deux doigts de dénaturer la rugosité dictée par Hannah la guitariste et Holly la bassiste. Ceci dit, elles touchent par moments à la divinité comme sur ce « Far From Earth », genre de « Hot Stuff » repris par Siverchair au féminin.
Dans un style plus brut, les gaillards de ORB (à ne pas confondre avec The Orb, le projet ambient-house d’Alex Paterson) allaient sensiblement augmenter le degré de crassitude et au passage pousser le volume dans le rouge. Délibérément vintage et sinueuses, leurs compositions kilométriques puisent largement leurs influences dans les sixties et n’auraient franchement pas dénoté aux côtés de Grateful Dead à Woodstock. Si on pense aux débuts de leurs compatriotes Tame Impala (qui se sont égarés depuis…), ils s’en distinguent via des parties instrumentales allumées qui les renvoient par moments du côté de Kula Shaker en plus chargé.
Après une année 2017 démentielle qui les ont vus sortir pas moins de cinq albums, King Gizzard & The Lizard Wizard se sont fait plus discrets. D’un point de vue discographique en tout cas car ils n’ont cessé d’arpenter inlassablement les scènes du monde entier. Ils sont notamment passés par un Vooruit empaqueté et par le Pukkelpop quelques mois plus tard. Depuis, ils ont repris le chemin des studios et en sont déjà à deux plaques cette année, dans des styles radicalement opposés. Prévu au départ comme un album de blues, « Fishing For Fishies » se veut un hommage boogie-psyché à Dame Nature alors que le résultat d’« Infest The Rat’s Nest » flirte franchement avec le trash-metal, mais toujours avec cette touche Gizzard tellement caractéristique.
C’est d’ailleurs avec deux extraits de ce dernier qu’ils entameront les débats chaque soir, alliant voix grasse, riffs incendiaires et rythmique infernale. Bizarrement, pas de trace de la plage d’ouverture malgré un bout de carton bricolé posé sur la batterie de droite indiquant « Tell the truth, there is no Planet B ». À l’instar de l’explicite « Venusian 1 », ils défendent leurs convictions écologiques et prolongent le thème récurrent de « Fishing For Fishies. À ce propos, les compositions de cette plaque d’à peine six mois seront à peine abordées (« This Thing » le premier soir, « Plastic Boogie » et « The Bird Song » le second). À leur décharge, ils ont de la matière et se baladeront à foison dans leur back catalogue.
Mais King Gizzard, c’est avant tout des musicos talentueux dont chaque idée, aussi saugrenue soit-elle, mérite d’être explorée. Sur scène, trois guitares, deux batteries, une basse et un synthé. Sept musiciens dont quatre prendront le micro à un moment ou à un autre. Autant dire que les possibilités sont infinies. Seule la prestation du bassiste, tétanisé et collé devant un ampli à côté d’un des batteurs aux yeux maquillés comme Alice Cooper, semblera un cran en-dessous du lot.
On ne présente plus le boss, Stuart MacKenzie, démonstratif à souhait et multi-instrumentiste hors pair. Capable de jouer de la guitare dans toutes les positions, il s’abandonne également au piano lorsqu’il ne pousse pas des cris stridents soudains en gobant son micro. Son secret ? Visiblement une tasse de thé sans fond… Il est suivi de près par l’expressif claviériste Ambrose Kenny-Smith qui joue de profil et dont le langage corporel allume le public entre deux parties d’harmonica soutenues. Mais celles des guitaristes Cook Craig et Joey Walker s’avèrent tout aussi indispensables à leurs délires sonores infinis qui flirtent même avec l’électro (« Crumbling Castle »).
Radicalement différentes les deux soirs dans le sens où on ne retrouve aucun titre commun sur la set-list, les prestations partageront cependant la même structure. Entamées pied au plancher, elles prendront instantanément le public à la gorge, générant de séreux mouvements de foule devant un visuel psyché coloré incorporant des images live. Puis, après une grosse demi-heure, Stuart attrape sa douze cordes et la cadence ralentit. Aussi passionnante soit-elle, leur direction jazzy introspective (« Sense », « Down The Sink » chanté d’une voix nasillarde par Joey Walker) et chaloupée (« Work This Time », très Prince langoureux) dénote à ce moment de la soirée.
Le souci, c’est que par après, l’intensité ne retrouve que sporadiquement son état initial et la dernière partie du show s’apparente à des montagnes russes. Des moments de grâce, à l’instar de l’anthologique tryptique « Robot Stop – Big Fig Wasp – Gamma Knife », hypnotique entame de l’album « Nonagon Infinity » en 2016, succèdent à d’autres, plus dispensables. Ainsi, le final en eau de boudin du second soir (le retenu « Float Along – Fill Your Lungs ») jurera avec celui de la veille (les enlevés « Perihelion » et « Am I In Heaven? »). D’autant qu’il bouclera le concert avec quinze minute d’avance, pour le plus grand mécontentement des spectateurs. Imprévisibles, ces lézards…