At home with Lucy Dacus
N’en déplaise à Placebo qui déployait la grosse artillerie à l’Orangerie, nous sommes invariablement restés fidèles à notre idée initiale. Cela faisait en effet quatre ans que l’on attendait le retour en salle de Lucy Dacus et ce n’est pas un showcase intimiste qui allait nous faire changer d’avis…
Ni même un léger retour en arrière, d’ailleurs. Car la native de Virginie a insisté pour que les spectateurs portent un masque à l’intérieur de la Rotonde. Un message rappelé à renfort d’affiches placardées aux quatre coins de la salle et via un message préenregistré par la chanteuse herself. Une situation loin de déranger Fenne Lily qui, à l’instar de sa camarade, ne se présentera pas au stand merchandising après sa prestation en première partie, histoire de ne pas hypothéquer la suite de la tournée.
L’Anglaise de 25 ans a enfin l’occasion de défendre “Breach”, son deuxième album sorti en septembre 2020. Vêtue d’une salopette rouge ne dépareillant pas aux côtés du polo vert flashy du bassiste, du trenchcoat du guitariste et du bonnet du batteur, elle va petit à petit conquérir la salle. Grâce à des interventions bourrées d’humour, des textes autobiographiques sentimentalement écorchés (“Birthday”, “I Used To Hate My Body But Now I Just Hate You”) et un univers proche de ceux de Weyes Blood ou de Julia Jacklin.
Les deux artistes à l’affiche se connaissent bien. Lucy Dacus a notamment posé sa voix sur l’un ou l’autre titre de l’album de Fenne Lily, enregistré à Chicago dans les studios de Steve Albini. Bien que la patte du maître ne plane pas sur la plaque, les versions distillées sur scène réservent toutefois quelques envolées bien senties. Et on se demande même, au vu des deux nouveaux titres à la rage retenue dévoilés ce soir, si son esprit ne s’est pas insidieusement introduit dans celui de la belle de Bristol.
Rappelez-vous, sans crier gare, Lucy Dacus avait été l’une des excellentes surprises des Nuits 2018. Sa prestation à l’Orangerie le jour de son anniversaire avait sans peine éclipsée celle de Ought et on était instantanément tombé sous le charme de “Historian”, un deuxième album particulièrement attachant. L’an dernier, elle a publié la suite de ses aventures discographiques via “Home Video”, que l’on peut assurément considérer comme son essai le plus abouti à ce jour. Un album inspiré par des souvenirs d’enfance et d’adolescence (romancés ou non) et rehaussé par la présence de ses copines Phoebe Bridgers et Julien Baker avec qui elle officie derrière boygenius à ses temps perdus.
Les textes de la singer-songwriter des temps modernes et porte-parole de la génération XYZ (avec toutes les ambiguïtés que cela implique) n’ont jamais été autant affûtés et celui qui ne prend pas la peine de les écouter perd une grosse partie de leur sensibilité. On pense notamment aux délicats “Christine” et “Thumbs” dont les versions dépouillées ce soir nous donnerons des frissons (ce “I would kill him quick and easy” d’une désarmante sincérité…). Mais avant cela et en guise d’intro, le patiemment construit “Triple Dog Dare” installera d’emblée une atmosphère rassérénante dans une Rotonde remplie à ras-bord et entièrement acquise à sa cause.
Positionnée au centre de la scène et particulièrement souriante, l’amie Lucy semble ravie de débuter sa tournée européenne au Botanique. Guitare à la main, elle déclame avec conviction et clarté des titres par moments repris en chœur par les spectateurs tout sourire derrière leurs masques (“Hot & Heavy”, “Brando”). Autour d’elle, outre un guitariste barbu et un bassiste chevelu, on retrouve un batteur qui gardera ses lunettes de soleil sur le nez pendant une bonne partie du show et une claviériste à l’instrument orné d’une couronne de plantes vertes.
Un “Addictions” à la voix impeccable et un “VBS” aux pointes presque noisy se démarqueront de la première partie du set pendant laquelle est conversera dans un français approximatif mais ô combien craquant entre les morceaux. Elle aura d’ailleurs l’occasion de s’appliquer lors de son excellente cover du célèbre titre d’Edith Piaf, “La Vie En Rose”, dans une version uptempo que n’aurait franchement pas reniée Franz Ferdinand.
Il s’agira là d’un moment pivot de la soirée qui stagnera ensuite l’espace de deux titres dispensables. En effet, tant le solo de guitare dégoulinant de “Yours & Mine” que le vocoder de “Partner In Crime” n’apportent pas grand-chose à l’équation. Que du contraire, on la préfère libérée de tout artifice, comme sur “Going Going Gone” en mode country singalong avec ses musiciens au centre de la scène ou le tristounet “Please Stay”. Dans la foulée, un puissant “I Don’t Wanna Be Funny Anymore” (le seul rescapé de “No Burden”, son premier album de 2016) mettra le feu dans un public en transe.
Les choses n’allaient pas se calmer à l’écoute des consonnances électro de “Kissing Lessons”, une nouvelle composition instantanément adoptée. La soirée s’apprêtait ensuite à se clôturer dans la même veine que son introduction. En effet, le travail de composition méticuleux de “Night Shift”, sa longueur inhabituelle sans lassitude aucune et son émotion décuplée ne pouvaient que ponctuer une prestation à la hauteur de nos attentes.
Après avoir pris congé de la Rotonde, Lucy est remontée sur scène pour s’excuser de ne pas offrir un rappel (elle était visiblement très fatiguée) mais a tout de même fini par se raviser devant l’enthousiasme du public. Elle a donc pris sa guitare pour honorer la requête d’un spectateur et se fendre d’une version acoustique à tomber de “Fool’s Gold” (rien à voir avec le titre des Stone Roses). Une conclusion parfaite pour une soirée qui l’était autant.
SET-LIST
TRIPLE DOG DARE
FIRST TIME
ADDICTIONS
HOT & HEAVY
CHRISTINE
VBS
CARTWHEEL
LA VIE EN ROSE
YOURS & MINE
PARTNER IN CRIME
BRANDO
THUMBS
GOING GOING GONE
PLEASE STAY
I DON’T WANNA BE FUNNY ANYMORE
KISSING LESSONS
NIGHT SHIFT
FOOL’S GOLD