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WILDERUN – Epigone

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De tous les avatars du death metal ayant essayé de s’émanciper des stricts codes de ce genre exigeant, Wilderun est sans doute le groupe qui a commis le plus de miracles dans sa métamorphose et son alchimie entre death metal et symphonie ou folk progressif. Au point qu’on en vient à se demander si ce groupe n’est pas en train de devenir l’un des innovateurs les plus importants et les plus doués des combos métal œuvrant aux genres de l’avenir.

Evan Anderson Berry et ses hommes ont très tôt capté l’attention des auditeurs éclairés avec leurs premiers albums, en constante progression. Ces albums sont peu nombreux depuis 2012, il y en a quatre. ʺOlden tales and deathly trailsʺ (2012) était déjà une belle tentative de faire évoluer le death metal mélodique, le suivant ʺSleep at the edge of the Earthʺ (2015) continuant à inverser progressivement le dosage entre death metal et mélodie. Mais c’est avec le phénoménal ʺVeil of imaginationʺ (2019) que Wilderun décolle vers les sphères du génie, assemblant avec un talent fou le rudesse death et le folk symphonique ou progressif. Si bien qu’on est en droit de penser qu’il y a deux étapes dans la vie d’un mélomane de l’extrême : la période avant la découverte de Wilderun et tout ce qui se passera après.

Le groupe revient ici avec un quatrième album qui continue de bâtir une réputation dont on se demande bien où elle va s’arrêter. ʺVeil of imaginationʺ était sublime, ʺEpigoneʺ l’est tout autant. Quoique…

Oui, car il y a un quoique, qu’il faut bien prononcer pour qu’il ne sonne pas comme couac, car on n’en est pas là du tout. Mais avec une heure et six minutes (bonus de la reprise de ʺEverything in its right placeʺ de Radiohead compris), Wilderun se lance dans la conquête du grandiose, avec toujours le risque de disperser un album dans des circonvolutions potentiellement ennuyeuses. On connaît le théorème du Sergeant Pepper, qui veut qu’un album durant plus de 37 minutes risque potentiellement de répandre un ennui dont l’intensité est proportionnelle au nombre de minutes dépassant cette limite. Ici, il n’en sera pas du tout question, fort heureusement, mais il faut quand même reconnaître qu’ʺEpigoneʺ, avec ses quatre faces vinyles et sa deuxième partie ʺDistractionʺ en quatre mouvements, a suscité dans notre esprit la possibilité d’un dérapage si Wilderun persiste à exploiter de cette manière les voies complexes qu’il a choisi de suivre.

On va cependant oublier les inquiétudes (qui ne sont, je le répète, que des potentialités pour l’avenir, si Vladimir Poutine nous prête vie) et se laisser aller au plaisir total d’une plongée dans ces nouvelles chansons de Wilderun, qui sont tout simplement époustouflantes. Certaines d’entre elles pèsent lourd, comme ʺWoolgatherʺ et ses 14 minutes, ʺPassengerʺ et ses dix minutes, ʺIdentifierʺ et ses onze minutes. Ce sont d’ailleurs ces trois morceaux qui constituent le cœur absolu de l’album.

L’introduction ʺExhalerʺ, à la guitare acoustique, répand un souffle folk léger et lumineux, exacerbé par la voix angélique de Evan Anderson Berry, dont il faut se rendre compte qu’il est un chanteur de classe supérieure. On ressent ici les vibrations du troisième album de Led Zeppelin (1970), qui avait à son époque déjà divisé les fans entre les tenants de la tradition hard rock et les esprits acceptant ces efforts d’innovation et de cassure des habitudes. Avec Wilderun, on est un peu dans le même contexte, le groupe essayant toujours de briser les cloisons des genres établis pour voir plus loin.

Puis on passe à ʺWoolgatherʺ et alors là, les amis, c’est le cheminement vers le Walhalla, la montée au Golgotha, la Croisière Jaune. Tout commence gentiment et les progressions se mettent en place, faisant alterner moments de bravoure death metal (mais pas trop) avec des élaborations jouissives dans le prog metal, le symphonique ou le folk, avec toujours cette capacité de conserver le morceau dans une parfaite cohésion d’écriture.

ʺPassengerʺ se tourne sensiblement vers des structures progressives plus classiques mais qui sont transcendées par la fusion entre des rythmiques fiévreuses typiquement death et des renversements mélodiques et symphoniques dans lesquels on retrouve du Rush, du King Crimson et bien sûr du Opeth, l’influence la plus identifiable de Wilderun. Là encore, c’est un des sommets de l’album qui nous porte vers les hauteurs olympiennes, surtout quand les chœurs se mettent de la partie. Si ʺPassengerʺ est impressionnant, ʺIdentifierʺ a aussi quelques biscuits séduisants à proposer. Plus imprévisible, alliant des effets électroniques poussant vers des atmosphères plus psychédéliques, ce morceau très introspectif révèle un aspect un peu plus sombre et tourmenté de Wilderun.

En additionnant la durée de ces premiers morceaux, on en arrive à 39 minutes et 25 secondes, la durée idéale d’un album, ni trop long, ni trop court, juste de quoi concentrer l’énergie de l’auditeur dans une écoute productive. Mais les hommes de Wilderun tentent leur chance en rajoutant 26 minutes supplémentaires avec la seconde partie, de quoi jouer avec le feu. L’instrumental ʺAmbitionʺ offre une étrange pause électronique au milieu d’un album de forte densité, ce qui relâche la tension (et l’attention) avec un bidouillage curieux qui tranche totalement avec l’esprit initial de l’album. Ce sera sans doute le seul faux pas patent dans cette histoire et même si la trilogie ʺDistractionʺ n’est pas forcément du même tonneau que la première moitié de l’album, elle permet néanmoins de beaux moments d’émotion. Les compositions sur ʺDistraction Iʺ, ʺDistraction IIʺ et ʺDistraction IIIʺ sont plus prévisibles mais elles contiennent de magnifiques passages chantés et des solos de guitare fantastiques. Ceci aurait pu constituer la vraie fin de l’album mais Wilderun conclue en fait avec un ʺDistraction nullaʺ instrumental qui, avec son retour à un black metal pur jus, donne l’impression que le groupe a un peu opté pour la facilité. Dans l’édition CD de l’album, les auditeurs pourront entendre la reprise de ʺEverything in its right placeʺ de Radiohead (album ʺKid Aʺ, 2000), dans une version beaucoup plus rock que l’original, d’obédience électronique. Un exercice intéressant, qui ne bouleverse pas le jugement final sur ʺEpigoneʺ mais qui n’est pas non plus une faute de goût.

On reste finalement avec l’idée que cet album est encore une fois un très grand disque de Wilderun. Savoir s’il dépasse, égalise ou termine un cheveu derrière ʺVeil of imaginationʺ est une dispute de théologiens. La conclusion à retenir est que ce disque est nécessaire dans toute bonne discothèque métal qui se respecte, un point c’est tout. Et que Wilderun est un des groupes les plus créatifs et les plus éclairés du métal moderne. À suivre à la trace, sans rien lâcher d’un millimètre.

Le groupe :

Evan Anderson Berry (chant, guitar rythmique, guitar acoustique)
Daniel Müller (basse, synthétiseurs, dulcimer)
Jonathan Teachey (batterie)
Wayne Ingram (guitare lead, mandoline, lap steel)
Joe Gettler (guitare lead)

L’album :

ʺExhalerʺ (04:44)
ʺWoolgathererʺ (14:11)
ʺPassengerʺ (09:58)
ʺIdentifierʺ (11:32)
ʺAmbitionʺ (02:40)
ʺDistraction Iʺ (04:56)
ʺDistraction IIʺ (05:39)
ʺDistraction IIIʺ (05:45)
ʺDistraction Nullaʺ (03:14)
ʺEverything in Its Right Placeʺ (03:56)

https://wilderun.bandcamp.com/
https://www.facebook.com/OfficialWilderun

Pays: US
Century Media
Sortie: 2022/01/07

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