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SUGAR HILL TRIO (The) – The drive

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Ayant été obligé de me taper le désormais fameux et ultra-hype film La la land au cinéma, je peux dire deux choses à son sujet : sa réputation est largement surfaite (bon film, sans plus, mais pas de raison de crier au génie) et il a cependant le grand mérite de faire une belle place au jazz. Et comme les choses sont toujours bien faites, ces retrouvailles que j’ai faites avec le jazz tombent au moment précis où un copieux arrivage postal du label Jazz Promotions me faisait me poser la question de savoir si un critique rock ayant collées aux bottes 35 années de rock allait oser élargir son horizon et se mettre à chroniquer quelques disques de jazz.

Deux choses me faisaient hésiter. Premièrement, la ligne éditoriale de notre site, qui a toujours sur son fronton « Rock, folk, blues », suggérant donc a contrario que le jazz n’y a pas sa place. Deuxièmement, ma grande méconnaissance du jazz, dans le sens traditionnel du terme, bien que j’ai été biberonné durant toute mon enfance à cette musique par l’entremise de mon paternel, grand amateur du genre. Mais depuis, notre site a quelque peu évolué sur la question du jazz et cette musique fait depuis quelque temps des incursions de moins en moins discrètes dans nos pages, grâce à l’esprit d’initiative de certains collègues. Nous avions déjà parlé de jazz-rock et de jazz fusion, il était logique qu’on pousse une petite pointe vers les racines plus anciennes du genre.

Et donc, me souvenant de mon enfance et rasséréné par l’exemple de mes camarades chroniqueurs, je me décide aussi à franchir le pas, non pas pour vous présenter certains disques avec la science exhaustive des authentiques connaisseurs (le jazz nécessiterait qu’on y consacrât toute une vie pour en saisir toutes les subtilités) mais pour faire part de mes sentiments à l’égard de certains disques que je jugerai dignes d’intéresser les auditeurs et surtout de garder un lien intellectuel ou musical avec le monde du rock, dans ce qu’il a de plus progressif.

Et pour ce baptême du feu jazz, je ne pouvais pas mieux tomber avec cet album « The Drive », du Sugar Hill Trio, une formation new-yorkaise menée par le saxophoniste Chris Torkewitz. En effet, ce disque se présente comme une collection de reprises de classiques du jazz des années 50 et 60, autrement dit l’âge d’or du genre et, je dois le dire, ma frange préférée de la question. Si je ne suis pas un connaisseur éclairé du jazz, j’avais quand même compris depuis longtemps qu’il fallait s’intéresser néanmoins en priorité à John Coltrane, Jerry Mulligan ou Thelonious Monk.

C’est de ces musiciens dont il va être question ici, avec du Coltrane, du Monk, mais aussi une galerie de musiciens jazz classiques, comme Gigi Gryce (1925-1983), Oliver Nelson (1932-1975) ou Phineas Newborn Jr. (1931-1989). Précisons que d’autre reprises sont consacrées à des compositeurs de musiques moins jazz et plus populaires, ancrées dans l’inconscient collectif des Américains puisqu’elles viennent de Broadway ou des musiques de films. Jerome Brainin (1916-2000), Harry Warren (1893-1981) et James Van Heusen (1913-1990) sont moins des musiciens de jazz que des compositeurs plus traditionnels mais les chansons que le Sugar Hill Trio a reprises d’eux sont jouées dans le plus style jazz.

C’est d’ailleurs tout l’intérêt de cet album que de visiter des standards originalement écrits au piano et interprétés ici uniquement par du saxophone, de la contrebasse ou de la batterie. Chris Torkewitz et ses musiciens (Austin Walker, batterie; Leon Boykins, contrebasse et Dylan Shamat, contrebasse sur d’autres morceaux que ceux joués avec Boykins) donnent une interprétation dynamique et fraîche de ces morceaux, basés ici sur des rythmes soutenus et des performances individuelles éclatantes au saxophone ou à la contrebasse. Les choses démarrent dans la fièvre avec « Minority », un titre de Gigi Gryce, et se poursuivent avec quelques originaux de Chris Trokewitz qui n’ont rien à envier aux exemples de ses grands ancêtres (« Open circle », « Sunbeams, « Handles »). « Spiral » est du John Coltrane dans toute sa splendeur et une occasion de rappeler aux néophytes que s’ils veulent se mettre au jazz, il faut commencer par John Coltrane. La plage titulaire de l’album, « The drive », est un titre en provenance du répertoire d’Oliver Nelson, une des sommités du hard bop et du jazz fusion des années 60, décédé prématurément d’une crise cardiaque à l’âge de 43 ans. Le choix de ce morceau révèle bien les aptitudes du Sugar Hill Trio pour les aspects les plus fondamentaux du free jazz des années 60, bien plus intéressant à mon avis que ce brave jazz Dixieland des années 20 ou 30.

Du côté de la musique populaire traditionnelle, le Sugar Hill Trio fait montre d’un talent certain pour la redéfinition totale et l’innovation, comme en témoigne la reprise de « You’re my everything » d’Harry Warren, à l’origine une chanson d’amour des années 30 qui connut un grand succès aux Etats-Unis. Ici, les paroles ont disparu et c’est le saxophone qui se charge de faire virevolter ce morceau sur un mode swing irrésistible. Même chose pour « Ask me now » de Thelonious Monk, où le piano original laisse la place à une réinterprétation magistrale par le saxophone. Je me suis amusé à passer le morceau original et sa reprise simultanément sur YouTube et sur un lecteur CD et je dois admettre que l’osmose est étonnante.

On l’aura compris, cet album joue magnifiquement avec la dualité entre classicisme et modernité et révèle les talents instrumentaux plus que solides de Chris Torkewitz et de ses complices. Que l’on soit novice ou vétéran en matière de jazz, on trouvera à ce disque des qualités correspondant aux attentes de chacun.

Pays: US
Goschart Music
Sortie: 2017/01/06

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