CRYSTAL GRENADE – Lo ! and behold
Il est des moments où l’homme parvient à prendre sa revanche sur le destin. L’homme est ici à prendre dans son acception générale car c’est ici une femme qui a pris sa revanche. Elle s’appelle Carol Hodge et son handicap ne vient pas du fait qu’elle soit née à Manchester, ville industrielle ravagée par la crise qui laisse peu de chances de réussite à ses enfants ouvriers, mais qu’elle soit née avec une main gauche difforme ne laissant apparaître que deux débuts de doigts. Et lorsqu’on veut devenir musicien, et particulièrement pianiste, ça n’aide pas.
Mais Carol Hodge n’en a cure, elle se bat et se fait une petite place dans l’univers musical anglais. Sa main atrophiée est largement compensée par un registre vocal d’exception. Le public anglais la remarque en 2011 lorsqu’elle rejoint à la hâte la tournée européenne de Steve Ignorant, mythique chanteur du non moins mythique groupe anarcho-punk Crass, figure marquante de la scène post-punk anglaise des années 1978-84. La voix de stentor de Carol Hodge, que l’on peut rapprocher de celle de Siouxsie Sioux, fait merveille lorsqu’elle fusionne avec celle d’Eve Libertine, chanteuse historique de Crass.
Carol Hodge rejoint alors Steve Ignorant sur son nouveau projet acoustique Slice Of Life. Mais elle a plus d’une corde à son arc et élabore un album solo intitulé « Lo ! and behold » qu’elle met sur le compte d’une héroïne imaginaire baptisée Crystal Grenade. Le concept de cet album est une starlette de music-hall anglais de la fin du 19e siècle, qui inspire forcément toute cette imagerie victorienne, entre Sherlock Holmes et Jack l’éventreur, avec la riche bourgeoisie de Regent Street ignorant les bas quartiers de l’East End londonien.
Pourtant, ce n’est pas à une opérette de bastringue que Carol Hodge/Crystal Grenade nous convie, mais à un voyage autour d’une dizaine de chansons qui ne mettent en œuvre que la voix de la chanteuse et un accompagnement au piano, joué par la femme qui n’a que sept doigts, comme Django Reinhardt jouait de la guitare avec trois doigts.
Et le résultat est tout simplement impressionnant. Carol Hodge a écrit toutes les chansons elle-même, faisant sourdre une écriture admirable qui parle de tristesse, de regrets, de chagrins, de choses personnelles qui ont forgé la vie et le caractère de cette femme à la fois combative et fragile. Que ce soit avec « You could have lived », « Lost for words », « Shapes of things » ou « For Alison », on est touché par la grâce de cette voix magnifique, de ces paroles profondes et poétiques, de ce piano qui marque encore plus les esprits quand on sait qu’il est manipulé par une fille qui s’est battue avec la dernière énergie pour pouvoir en jouer.
Nous sommes ici dans de la pure chanson, de la vraie. Pas de batterie, pas de guitares, que le chant et le piano, qui s’unissent sans fioritures et dans la plus belle des authenticités. Si Anna Calvi et Lana Del Rey vous fatiguent déjà, vous savez où trouver une autre grande voix.
Pays: GB
Gonzo Multimedia
Sortie: 2013/11/04