SOFT MACHINE – Land of Cockayne
Depuis ses débuts officiels en 1966 avec Daevid Allen, Kevin Ayers, Robert Wyatt et Mike Ratledge, Soft Machine n’a cessé de se transformer au fil du temps. Issu du mouvement de Canterbury, croisant Jazz et Progressif naissant, y accolant avant-garde et loufoquerie, il va rapidement s’orienter sous la pression conjointe de Mike Ratledge et Hugh Hopper (le remplaçant de Kevin Ayers) dans une direction plus technique, plus maîtrisée, plus Jazz-Rock. Il explore alors différents courants du genre grâce au passage dans ses rangs de nombreux instrumentistes de talent, dont les plus importants ont fait leurs armes avec Ian Carr et Nucleus. C’est le cas de John Marshall, entré en janvier 1972, qui succède à Phil Howard, lui-même ayant succédé à Robert Wyatt l’année précédente, de Karl Jenkins, entré en mai 1972 en remplacement d’Elton Dean, de Roy Babbington, entré en mai 1973 suite au départ de Hugh Hopper, d’Allan Holdsworth arrivé en décembre 1973. Détail intéressant, il semble qu’une fois dans la maison, John Marshall fut le principal artisan de l’arrivée des autres ex-Nucleus.
Peu de formations actives sous un même nom ont eu une existence aussi longue et chahutée, avec de telles évolutions de style et de tels changements de personnel. Quoiqu’en disent certains, cette mutation constante fut passionnante et positive. Le groupe se constitua par là même un public fidèle, capable d’ouverture et d’adaptation aux fréquents chambardements.
En 1976, Mike Ratledge, seul rescapé de l’aventure originelle, abandonne le navire et laisse le groupe en de bonnes mains, celles de son ami Karl Jenkins. Dès son arrivée, ce dernier avait pris une importance considérable, dominante même, non seulement en tant que pianiste, claviériste, saxophoniste et hautboïste, mais aussi en tant que compositeur prolifique ; sans surprise d’ailleurs puisqu’il avait déjà affiché toutes ses dispositions au sein de Nucleus. Pourtant, cette passation de flambeau ne cessa de générer auprès de la Critique des interrogations sur l’opportunité de poursuivre les activités sous le nom de Soft Machine.
En 1978 sonne le glas des activités du groupe, malgré la sortie d’un bien bon album, « Alive and Well – Recorded in Paris », extrait de quatre concerts donnés dans la capitale française en juillet 1977.
En 1980, le producteur Mike Thorne convainc avec difficulté Karl Jenkins de relancer la machine pour une œuvre entièrement personnelle. John Marshall suit volontiers. Il reste les autres participants à sélectionner.
Bien connu des deux hommes, Jack Bruce (Graham Bond Organization, Manfred Mann, Cream, West, Bruce & Laing, …) s’impose rapidement comme premier choix à la basse. Il faut dire que l’homme a longtemps employé deux ex-Nucleus (Chris Spedding, John Marshall) dans son Jack Bruce Band et a lui-même rejoint cette formation pour quelques concerts. En outre, le bassiste et le batteur ont aussi enregistré récemment avec Charlie Mariano. Le saxophoniste Ray Warleigh (ex-If) a posé une petite empreinte sur « Bundles » et tourné par la suite avec le groupe. Lorsqu’il est disponible, la présence d’Allan Holdsworth constitue toujours un atout, même si elle n’est ici que très brève. Dick Morrissey, Alan Parker (ex-Strawbs) et John Taylor mènent une carrière réputée de musicien de session depuis plusieurs années déjà.
L’époque n’aidant pas, « Land of Cockayne » ne rencontra que peu d’intérêt public. Il ne fut suivi d’aucune prestation scénique. Il s’agit pourtant d’une franche réussite, tout à l’honneur de Karl Jenkins. Les compositions sont de qualité, variées, impeccablement arrangées, mêlant Jazz, Rock et Musique de style Classique. L’ensemble est aéré, étonnamment fluide, rehaussé par une interprétation magistrale dans laquelle l’orchestre d’une vingtaine de musiciens s’intègre idéalement. Mesure, sagesse et à-propos sont la règle.
Jack Bruce mérite ici une attention particulière, car, à l’époque, il joue dans un registre particulier, bien différent de celui dans lequel il s’était mû les années précédentes. Tout aussi technique, mais moins épais, il colle plus aux sonorités du temps, celles qui seront la règle dans les années quatre-vingt. Il intègre même dans son style une pointe disco haut de gamme. Il ne s’éternisera pas longtemps dans le genre. Les amateurs du bassiste sauront apprécier et se devront aussi d’écouter ses prestations sur les albums « Over the Top » de Cozy Powell en 1979 et sur son album solo, « Automatic », en 1983.
Mélodieux, fluidifié par l’orchestre, les claviers et les choristes, rythmé par le duo retrouvé Bruce/Marshall, « Over ‘n’ Above » se signale également par le travail impressionnant du saxophone ténor.
Ponctué de petites touches de claviers électroniques répétitives et de percussions fantaisistes, étrange dans la forme, « Lotus Groves » apparaît en avance sur son temps. Des contours orientaux, des claviers délicats complétés par la flûte et le saxophone, le jeu de basse à la fois mesuré et riche lui donnent un attrait supplémentaire.
Joliment mené par l’orchestre seul, « Isle of the Blessed » sert de prélude à une pièce de style Jazz-Rock splendide, « Panoramania ». Elle est dominée par des claviers inspirés, assistés de saxophones et couverts en finesse par l’orchestre. L’ensemble est superbement rythmé.
Courte pièce, « Behind the Crystal Curtain » rappelle Weather Report.
« Palace of Glass » renoue avec l’époque des débuts de la collaboration Jenkins/Ratledge, celles des albums « Six » et « Seven ». Le ton redevient plus froid, minimaliste, répétitif, jusqu’à la courte démonstration de John Marshall. Celle-ci clôture la pièce et ouvre sur « Hot-Biscuit Slim » qu’il tire avec un Jack Bruce éblouissant. Claviers et saxophones sont à l’ouvrage dans cette véritable fiesta Jazz-Rock.
Introduit et soutenu par l’orchestre, frais et aérien, « (Black) Velvet Mountain » permet de retrouver Allan Holdsworth. En solo, guitare et saxophones focalisent l’attention.
Plus dynamique, « Sky Monkey » remet les mêmes en scène. Allan Holdsworth montre ici la voie qu’il empruntera dans les années quatre-vingt. Saxophones, guitares et claviers se relaient à l’avant-plan soutenus par une rythmique d’enfer.
Avec le piano et le saxophone en duo, le court « A lot of What You Fancy » clôture en vitesse cet excellent album.
Excepté un très bref épisode en 1984, Soft Machine disparaîtra en temps que tel jusqu’à sa résurrection en 2005, avec Hugh Hopper, John Marshall, Elton Dean et John Etheridge, l’éternel remplaçant d’Allan Holdsworth. Avec les trois premiers, ce dernier faisait d’ailleurs partie de Soft Works, monté dès 2002.
À partir de 1995, Karl Jenkins rencontra le succès avec son projet Adiemus, fusion réussie entre musique classique et ethnique. Ses occupations ne lui permettront dès lors plus de s’associer à ses ex-collègues.
Les titres (43’43) :
- « Over ‘n’ Above » (7’23)
- « Lotus Groves » (4’56)
- « Isle of the Blessed » (1’56)
- « Panoramania » (7’05)
- « Behind the Crystal Curtain » (0’53)
- « Palace of Glass » (3’22)
- « Hot-Biscuit Slim » (7’25)
- « (Black) Velvet Mountain » (5’09)
- « Sly Monkey » (4’59)
- « A Lot of What You Fancy » (0’35)
Les interprètes :
- Karl Jenkins : Pianos, Claviers, Synthétiseurs, Compositions, Arrangements & Direction d’orchestre
- John Marshall : Batterie & Percussions
+ - Jack Bruce : Basse
- Ray Warleigh : Saxophone alto & Flûte basse
- Dick Morrissey : Saxophone tenor
- John Taylor : Piano électrique
- Allan Holdsworth : Guitare lead
- Alan Parker : Guitare rythmique
- Tony Rivers : Chœurs
- Stu Calver : Chœurs
- John Perry : Chœurs
+
Orchestre de cordes dirigé par Bill Harman
Pays: GB
Esoteric Recordings ELEC 2208
Sortie: 2010/07/26 (réédition, original 1981)