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NOCTU – Gelidae mortis imago

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Crémone, en Italie, est la ville qui vit naître Stradivarius (1644-1737), le plus grand luthier de l’histoire du monde, ainsi que la lignée des Guarneri, autre famille de luthiers qui rivalisèrent d’ailleurs avec Stradivarius au 18e siècle. C’est aussi la ville de Claudio Monteverdi (1567-1643), considéré comme le créateur de l’opéra. Non, ce n’est pas un essai sur la géographie et l’histoire de la musique classique italienne que je tente de vous décrire ici, c’est simplement pour insister sur le fait que Crémone est une ville lourdement marquée par l’esprit de la musique. Et c’est peut-être aussi la démonstration que les temps changent inexorablement lorsque l’on découvre qu’un autre citoyen de Crémone, un certain Noctu (on ne connaît pas son véritable nom), redonne à sa ville un nouvel éclairage musical, mais cette fois-ci sous des aspects qui n’ont radicalement plus rien à voir avec la candeur et la luminosité des pièces pour violon de l’âge d’or italien. Mais cet éclairage dont on va parler est au contraire une plongée dans l’obscurité la plus sinistre et la froideur la plus glaciale d’un doom metal funéraire qui enverrait le plus endurci des croque-morts en séjour prolongé à l’hôpital psychiatrique pour cause de dépression profonde. Oui, les temps ont changé et on peut même se demander comment, sous le riant soleil lombard qui baigne la belle ville de Crémone, un musicien comme Noctu peut avoir trouvé cette inspiration morbide habituellement enterrée dans les caves sombres et humides des cités nordiques taraudées par un éternel hiver.

Noctu a trouvé tellement peu de compagnons dans sa quête funèbre qu’il est seul. Il est seul dans ce projet qui porte son nom et qu’il a monté en 2015, et il n’est pas tellement plus accompagné dans ses autres groupes. On dénombre un associé dans Atra Mors (duo black metal actif depuis 2015, trois albums), on trouve une fille, Ossidiana, dans Ghostlord (projet doom/death qui vient de voir le jour, avec une démo sortie le 18 mars dernier) et on découvre un autre compagnon (qui vient d’ailleurs de partir) dans Necromist, un combo black metal qui collectionne les démos depuis 2017. Noctu est donc un franc-tireur isolé de la scène métallique extrême de Crémone, une ville qui compte à peine une quinzaine de groupes opérant dans ces genres sombres.

Et Noctu est sans doute le plus marquant de tous ces groupes, si l’on en juge par l’impressionnant deuxième album ʺGelidae mortis imagoʺ qu’il vient de sortir chez Transcending Obscurity. Le doom metal, en général, ce n’est déjà pas drôle. Le doom metal funéraire, encore moins. Mais le doom metal funéraire de Noctu, alors là… Imaginez que vous venez d’apprendre la mort de votre mère, le suicide de votre petite sœur, la chute mondiale des cours de la bourse, l’arrivée d’une épidémie de grippe tueuse sur le monde ou la reformation de Genesis. Vous voyez l’état d’esprit ? Vous imaginez la profondeur du chagrin, l’intensité de la douleur, les brûlures de la colère ? Eh bien, le mec Noctu, il pense comme ça, tous les jours de l’année. Tous les jours, sa mère meurt ; tous les jours, sa sœur se suicide ; tous les jours, il fait un accroc à son T-shirt préféré ; tous les jours, il reçoit sa feuille d’impôts.

Et toute cette profonde misère, cette dépression ultime, envahissent cet album à la tristesse abyssale, occupé par trois longs morceaux (16, 18, 32 minutes!) entrecoupés de petits intermèdes de deux minutes. Le comte Dracula nous a invités dans son château et nous joue son petit air préféré aux grandes orgues, juste avant de passer à table. Une meute de fossoyeurs morts-vivants marche lentement vers votre maison pour vous demander si vous n’auriez pas par hasard une pelle en dépannage. Un brouillard dense émane du cimetière, où la messe noire se tiendra à minuit précise, malgré le confinement. La lenteur des morceaux est ici proche de la rigidité morbide. Les claviers prennent le pas sur les guitares et entretiennent cette atmosphère de chute de la maison Usher. Le chant caverneux et lointain semble provenir des pages les plus épouvantables de l’œuvre de Lovecraft. Tout dans cet album respire le suaire moisi, suinte des gouttes de pus dégoulinant d’un corps mourant, écrase l’esprit sous le poids des pierres tombales, cherche à l’aveuglette son chemin dans la noirceur des cryptes.

Si le thrash metal, le death metal, le black metal, le grindcore ou le doom metal ont leurs groupes phares, leur Slayer, leur Death, leur Mayhem, leur Napalm Death ou leur Candlemass, le doom metal funéraire pourrait bien avoir ici son Noctu afin de rivaliser avec ces autres genres dans la cour des grands.

Le groupe :

Noctu (tout)

L’album :

ʺSuicidio al chiaro di lunaʺ (02:46)
ʺFitte tenebre (Le radici dell’ inferno)ʺ (16:09)
ʺOltre i cancelli del cimiteroʺ (02:20)
ʺLucida oscurita senzienteʺ (18:42)
ʺSangue sulla mia lapideʺ (01:59)
ʺIsolato da un mondo senza speranzaʺ (31:56)

https://noctuitaly.bandcamp.com/
https://www.facebook.com/noctu.funeral.doom/

Pays: IT
Transcending Obscurity
Sortie: 2020/05/15

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