Le Magasin 4 vend son âme à Jucifer
Jeudi 7 novembre 2013. Une nuit sans lune, froide et sinistre s’est abattue sur la capitale. Un crachin désagréable active la putréfaction des feuilles qui jonchent les trottoirs délabrés de l’Avenue du Port. Faisant fi de la visibilité minimale, les chauffards bruxellois écrasent l’accélérateur sans prêter attention aux silhouettes sombres qui s’engouffrent tête baissée, dans l’inquiétant édifice situé au 51b. Ce soir, c’est Messe Noire au Magasin 4 et nous invoquons Jucifer ! Ne vous laissez pas ébranler par le ton morose de cette introduction. Car en dépit de conditions météo automnales plus que maussades, votre serviteur rayonne de bonheur. Ah, qu’il est agréable d’égayer une assommante semaine de labeur en la coupant avec une sympathique sortie musicale en compagnie mon pote Bernie. D’autant que ce soir, le keupon et moi, assistons au retour bruxellois de l’un des rares groupes qui nous fait vibrer de concert. Pour la petite histoire, nous avions découvert Jucifer ensemble, il y a un peu plus de deux ans, ici même, au Magasin 4. L’étonnant duo américain assurait alors la première partie de My Own Private Alaska. Ce soir là, notre chasseur d’images mono-neuronal s’était pris d’une affection quasi-oedipienne pour la mini-tornade Amber Valentine (chant, guitare) qui, en assénant une raclée phénoménale à l’assistance, avait réveillé en lui le souvenir des corrections maternelles d’antan.
von Stroheim est déjà sur scène lorsque nous pénétrons dans la salle. Alors que, Bernie fonce vers l’avant en faisant cliqueter son déclencheur, je déplace mon petit corps replet vers le centre de la foule en suivant le rythme lancinant de la musique. Ce trio Bruxellois (deux garçons, une fille) donne à sa musique l’appellation étrange de ‘Cinematic Doom’. La grande toile est franchement avare d’informations au sujet du groupe et de son concept. Raphael Rastelli (guitare) et Christophe Van Cappellen (batterie) arborent fièrement un look costume-cravate tandis que leur compagne de scène, Dominique Van Cappellen (chant, guitare et thérémine), arpente les planches en robe de soirée. ‘Cinematic Doom’ ? ‘Chic Doom’ ? ou ‘Je-Te-La-Pète-Plus-Haut-Que-Mon-Doom’ ? Nous aurions apprécié un peu plus d’explications. Peu importe le label ou l’emballage après tout. Côté musique, cela fonctionne plutôt bien. Les compos sont plombées à souhait et sans nous en apercevoir, nous nous laissons emporter par les rythmiques hypnotiques et répétitives, la voix agréablement éraillée et le jeu halluciné des acteurs/musiciens. La prestation nous semble bien courte et nous sommes presque déçus lorsque von Stroheim est expulsé de la scène par une salve d’applaudissements plus que méritée.
Missiles Of October profite de la confusion générale pour squatter, à son tour, les planches du Magasin 4. Le groupe possède plusieurs points communs von Stroheim : c’est un trio ; il est Bruxellois ; son intention manifeste est de nous envoyer sur orbite. Cependant, si le premier a organisé notre voyage astral à l’aide d’un chant aérien et des riffs stellaires, le second utilise la méthode, bien plus directe, du coup de pied au cul. Lionel Beyet (basse, chant) Bob Seytor (batterie) et Mathias Salas (guitare et chant) ne s’embarrassent pas de fioritures, leur rock est sale, bruyant et rageur. Le chant (à deux voix) est hurlé et viscéral. Punk, noise, heavy : le trio bastonne à-tout-va et fait vaciller, à de nombreuses reprises, les plombages de nos molaires. Bernie est aux anges et l’horrible grimace qui lui sert de sourire fait franchement plaisir à voir.
Difficile d’expliquer le concept de Jucifer à quelqu’un qui n’a jamais été roué de coups par une petite fille furieuse. Jucifer est un duo détonnant, constitué par la fragile (NDR : hors scène seulement) Amber ‘Gazelle’ Valentine (guitare, chant) et par Edgar Livengood,son sérial drummer de mari. Originaire de la ville d’Athens en Géorgie (USA), le duo sillonne le monde au volant d’un tour-bus depuis une douzaine d’année afin porter la bonne parole du Sludge et du Doom.
Dans l’ensemble, la prestation du jour n’est pas franchement différente de celle qui nous avait tant ‘émus’ en mai 2011. Pourtant, après le concert, nous quitterons à nouveau la salle, fourbus et endoloris, mais surtout profondément conquis ! Comme lors de son dernier passage au Magasin 4, Amber Valentine entre en scène dans l’indifférence générale et triture ses amplis pendant une bonne dizaine de minutes avant de saisir une guitare et déchirer le silence d’un riff terrifiant. La petite blonde fragile que tout le monde ignorait encore il y a quelques secondes à peine, vient de se transformer en furie furieuse. Les jambes formant un angle de 90 degrés, la créature démoniaque headbangue comme une invertébrée en molestant vertement les cordes de son instrument. Une force étrange, magique probablement, s’entête à maintenir sa crinière blonde devant un joli minois que nous n’apercevrons pas durant tout le concert. (NDR : Grâce au mitraillage intensif auquel s’est livré Bernie, vous pourrez quand même en profiter en jetant un œil dans notre galerie photographique). Edgard est apparu, comme par enchantement, derrière une batterie qu’il brutalise sans remords. Afin d’ajouter à sa force de frappe, le sauvage cogne peaux et cymbales en utilisant le côté le plus épais de ses baguettes. Les deux américains semblent enfermés dans un monde qui leur est propre et autours d’eux rien n’existe à part l’envie de détruire. Au premier abord, l’anarchie sonore semble totale, pourtant la guitare et les fûts sont en symbiose parfaite. Les riffs monstrueux et les rythmiques dévastatrices s’enchainent sans temps mort. Au désespoir de Bernie, nous n’entendons rien du chant guttural de la princesse des ténèbres. Cette dernière, pourtant, s’époumone derrière son micro comme si elle en voulait au monde entier. Seuls les borborygmes stridents de l’ami Edgard parviennent à nos oreilles. Difficile de savoir si le micro d’Amber est ‘sous-mixé’ par erreur ou si la chose fait partie du nouveau concept (NDR : On peut voir, sur Youtube, une vidéo filmée lors d’un concert donné à Paris quelques jours plus tôt sur laquelle le chant est aussi inaudible). Malgré cette question restée en suspens, la foule (qui s’est considérablement étoffée depuis notre arrivée) est hypnotisée et jouit du spectacle qui s’offre à elle. Les baguettes d’Edgard virevoltent en tous sens comme des mythes affolées par la lumière. Amber se rue d’avant en arrière, s’agenouille face à ses amplis, et se démène comme une possédée. Le concert s’achève aussi abruptement qu’il a démarré. Comme si toute la tension avait été évacuée durant cette heure de décibels purs, la belle apparait souriante et remercie timidement l’audience pour ses ovations répétées.
Gloire à Jucifer !
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Photos © 2013 Bernard Hulet