WARPED DREAMER – Live at Bimhuis
Le monde du jazz avant-gardiste expérimental est d’une complexité folle. Non seulement dans les structures musicales employées dans ce genre mais également dans les montages de groupes, le foisonnement discographique et les collaborations entre musiciens. Tout le monde joue chez tout le monde, des groupes de circonstance sont formés pour un ou deux disques, parfois réalisés sur de longues périodes et les types impliqués dans cette musique ont des CV aussi denses et touffus que la jungle birmane au printemps. On en vient à envier les fans de boogie rock, qui ont toujours affaire aux mêmes musiciens dans les mêmes groupes, réalisant des albums toujours pareils sur des décennies et des décennies.
Mais dans le jazz moderne, on est loin de ça et un groupe comme Warped Dreamer est un exemple typique de cette incroyable richesse, où un seul musicien peut nous faire découvrir d’un seul coup des dizaines de groupes dans lesquelles il a joué, avec d’autres musiciens qui font aussi découvrir des dizaines de groupes de leur côté. Cette formation est internationale, puisqu’elle regroupe deux musiciens belges et deux norvégiens. On commence avec le premier belge et on va essayer de ne pas trop se perdre. Le batteur Teun Verbruggen est une figure centrale du jazz belge. On le trouve dans des ensembles comme The Bureau of Atomic Tourism (avec Jozef Dumoulin, l’autre Belge de Warped Dreamer), Caca, Drifter, Flat Earth Society, Jef Neve Trio, Orchestra Nazionale della Luna, Othin Spake, P.V.T.V., Too Noisy Fish ou VVG Trio. C’est finalement dans Flat Earth Society, où il bat les fûts depuis 2003, que Teun Verbruggen a fait le plus d’albums, ses autres collaborations se contentant en général d’un seul album. L’autre compatriote, Jozef Dumoulin (claviers et électronique) est né quinze jours après Verbruggen en avril 1975 et travaille régulièrement avec lui dans Othin Spake (trois albums entre 2006 et 2011, avec Mauro Pawlowski, qui a été dans dEUS : vous voyez que si on s’intéresse aux autres musiciens, on tire des ficelles jusqu’à n’en plus finir). Dumoulin a également été vu dans Lidlboj (un album en 2009), Mâäk’s Spirit, Narcissus (où il joue depuis 2008, notamment avec Harmen Fraanje, qui joue dans Blink, Fugimundi, Oxymore Quintet : non, on avait dit qu’on arrêtait avec la toile d’araignée du jazz belge).
Passons maintenant aux Norvégiens avec Stian Westerhus (guitare, électronique). Lui, c’est plus simple, on le trouve dans Bladed (un album en 2009), Fraud (projet anglo-norvégien, un album en 2007), Jaga Jazzist (où il fait un passage en 2008-2009 dans ce gros groupe norvégien actif depuis 1994), Monolithic (un duo auteur de deux albums en 2009 et 2015) et Puma (quatre albums dans les années 2000, avec Øystein Moen de Jaga Jazzist et Gard Nilssen de Bushman’s Revenge). Le second Norvégien est Arve Henriksen (trompette, flute, chant), au CV consistant : Batagraf & Jon Balke, Binary Orchid, Bodega Band, Food, Magnetic North Orchestra, Poolplayers, Supersilent (son groupe principal), Veslefrekk ou Christian Wallumrød Ensemble.
Quand on réunit ces quatre sommités du jazz improvisé dans Warped Dreamer, on obtient un groupe qui prend son temps pour faire des albums, puisque ce ʺLive in Bimhuisʺ est le deuxième en six ans, après un ʺLomahongvaʺ paru en 2016. Ce premier album était déjà un live et ʺLive in Bimhuisʺ ne laisse cependant pas trop de place à des bruits de public. On reste concentré sur la musique, qui est tout simplement géniale de sidération et d’aptitude à déconcerter dans les grandes largeurs. Les choses se passent donc au Bimhuis, la grande salle spécialisée en jazz et musique improvisée qui se trouve à Amsterdam. L’endroit est bien connu des puristes et il propose une acoustique impeccable, comme on peut l’entendre sur cet album de Warped Dreamer, qui réalise ici de la pure improvisation jazz, complètement barrée, un truc qui ferait passer John Coltrane pour de la musique militaire allemande. Si le quatuor se cherche un peu sur le premier titre ʺIxweleʺ, il trouve un sas d’improvisation sur ʺGolden geek awardʺ qui permet à la musique d’exploser dans un chaos souverain où la batterie déstructure les rythmes en petits bouts nerveux et sautillants, idéalement récupérés par des effets électroniques qui s’éclatent dessus. Même chose lors du passage exalté dans ʺUmgabaʺ, où on se croirait dans un flipper géant d’où jaillissent des crissements électrifiés, des rebondissements de fûts et de cymbales incontrôlables et des gémissements tribaux.
Le jazz moderne peut avoir sa part d’ennui et d’emphase technicienne mais ici, le travail accompli est frais et spontané, avec une osmose parfaite entre les musiciens qui ont trouvé ensemble un chemin leur permettant de bâtir un son et des ambiances basés sur des aspirations communes. Ce ʺLive in Bimhuisʺ n’est pas à jouer lors du prochain repas de famille à l’occasion de la communion du petit dernier mais il séduira les amateurs de sensations sonores audacieuses.
Le groupe :
Teun Verbruggen (batterie, électronique)
Stian Westerhus (guitare, électronique)
Arve Henriksen (trompette, flute, chant, électronique)
Jozef Dumoulin (claviers, électronique)
L’album :
ʺIxweleʺ (5:58)
ʺGolden geek awardʺ (6:35)
ʺLights outʺ (10:52)
ʺUmgabaʺ (9:00)
ʺCamphor bushʺ (7:34)
https://www.facebook.com/warpeddreamer/
Pays: Be
Consouling Sounds
Sortie: 2021/02/26