SUZUKI (Damo)’S NETWORK featuring ELYSIAN QUARTET – Floating element
Pour les connaisseurs du krautrock allemand des années 70, le nom de Damo Suzuki est fameux. Ce hippie japonais débarqué en Europe à la fin des années 60 a en effet récolté ses galons de gloire en devenant le chanteur du célèbre groupe Can, jouant sur trois albums fondamentaux du groupe, « Tago mago » (1971), « Ege bamyasi » (1972) et « Future days » (1973). A ceux qui veulent commencer une exploration de ce vaste univers qu’est le krautrock, disons que ces trois albums sont non seulement fondamentaux dans la carrière de Can mais qu’ils sont également indispensables au niveau du krautrock tout entier.
Damo Suzuki a marqué Can de son style vocal inimitable, créant au passage un langage personnel ne pouvant être rattaché à aucune langue connue. La folie complète du chant est un des éléments qui a fait la force de Can, qui n’a cependant profité de Damo Suzuki que trois ans entre 1970 et 1973. Ensuite, le japonais fou est allé vivre d’autres expériences et a fini par ré-émerger en 1983, époque où il commence une carrière solo. A la fin des années 1990, il fonde le Damo Suzuki’s Network qui va égrener une série d’albums expérimentaux et avant-gardistes dignes de faire passer Frank Zappa pour un joueur de boogie rock binaire à trois accords maximum.
Au cours de cette carrière bien fournie, Damo Suzuki a eu l’occasion de croiser le chemin de nombreux musiciens. Par exemple, il s’associe au collectif Elysian Quartet en 2007 pour donner une performance musicale (faut-il vraiment appeler cela un concert?) à la salle Purcell du Queen Elizabeth Hall de Londres. Ceci aboutira finalement à la sortie de cet album « Floating element » qui retrace la deuxième partie du concert et qui ne sort que cette année. Mais avant d’attaquer le morceau, un petit mot sur l’Elysian Quartet. Cet orchestre londonien de musique contemporaine existe depuis une quinzaine d’années et s’est fait une spécialité d’accompagner des artistes rock ou des musiciens électroniciens pour créer des choses peu banales sur le plan sonore. Ses membres permanents sont Emma Smith, Jennymay Logan, Laura Moody et Vince Sipprell. Ce dernier était membre du collectif car il s’est malheureusement suicidé l’année dernière, à l’âge de 35 ans. Ce violoniste extrêmement doué avait également joué chez Elbow ou New Order.
Vince Sipprell ne verra donc pas la sortie de « Floating element » qui, compte tenu de tout ce qui vient d’être dit plus haut, est évidemment un exercice audacieux d’avant-gardisme déstabilisant qui ne consiste qu’en un seul morceau de plus d’une heure et quart. Les fans de The Darkness ou de Bon Jovi ont déjà quitté cette page, ne restent dans la salle que les explorateurs de l’improbable, les navigateurs en eaux troubles, les sous-mariniers de l’infra-son, les traqueurs d’antimatière et les montreurs d’ours. Les violonistes et violoncellistes de l’Elysian Quartet collent de très près aux frasques vocales de Damo Suzuki qui commet l’exploit de chanter et de déblatérer dans un anglais de synthèse pendant plus d’une heure. Le morceau « Floating element » passe ainsi par des phases rythmiques diverses mais est hanté à tout moment par la voix tantôt rugueuse, tantôt douce de Damo Suzuki qui est lâché dans la nature et qui en fait des tonnes.
« Floating element », si je ne m’abuse, établit un record, celui de la chanson la plus longue de l’histoire du rock. Quelques groupes s’étaient aventurés dans cet exercice : « Karn evil 9 » d’Emerson, Lake & Palmer et sa demi-heure; la « Mountain jam » des Allman Brothers avec 33 minutes; le « Thick as a brick » de Jethro Tull avec 44 minutes; « Jerusalem » de Sleep avec 52 minutes. Mais ici, les 76 minutes de « Floating element » écrasent tout. Je défie quiconque de fredonner ce morceau dans toute sa précision et dans tous ses détails sous la douche ou sur la route du boulot.
Bien entendu, cette chronique est accompagnée du traditionnel avertissement au candidat auditeur : l’œuvre dont il est question ici est une expérience avant-gardiste bien barrée qui ne conviendra pas à toutes les oreilles. Mais ceux qui seront parvenus à en venir à bout ne verront plus le monde avec les mêmes yeux.
Pays: GB
Purple Pyramid Records
Sortie: 2016/06/15