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ETRON – Karim a bien mangé

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Depuis une quinzaine d’années, bien à l’abri des médias officiels, Etron mène une carrière au plus profond de l’underground. Tellement underground que le site internet du groupe n’a pas été réactualisé depuis deux ans et que leur site Facebook n’a pas bougé depuis 2008. On peut voir dans cette attitude réfractaire aux réseaux sociaux, censés rendre les gens heureux et affables mais juste bons à les garder hypnotisés devant un écran d’ordinateur ou de GSM, une saine réaction authentiquement punk. Par son silence sur Internet, Etron échappe à Big Brother, fait la nique au meilleur des mondes et poursuit son chemin en se moquant bien de ce qu’on pensera de lui.

Il y a deux ans, à l’occasion de la sortie de son album « Cosmic Ukrainian », Etron promettait trois albums à sortir quasiment dans la foulée, « The spacehead tapes », « Mystic computer » et un mystérieux « KaB-M ». Seul ce dernier album voit le jour pour le moment, et l’on s’aperçoit que « KaB-M » s’est transformé en « Karim a bien mangé ». Question mystère, on n’est pas plus avancé avec ce titre un peu provocateur en ces temps de tensions entre l’Occident plus très chrétien et le monde musulman. La bizarrerie persiste avec la pochette du CD, qui liste la discographie complète du groupe, en précisant bien un « Mystic computer » sorti en 2011 et un « KaB-M » sorti en 2012, avant « Cosmic Ukrainian ». Or, « Mystic computer » n’est jamais sorti et « KaB-M » ne sort que cette année.

Mais avec Etron, on peut s’attendre à tout, ce qui correspond bien à sa philosophie non-conformiste et son attachement au bon vieux temps du punk et du post-punk, où la jeunesse représentait encore une menace pour la société bien-pensante. Suzy Cumshot (guitare et chant) et Billy Jr. (basse et chant) s’affichent maintenant avec Malvir Léon (batterie), qui jusqu’à présent était membre non-officiel de ce duo devenu par conséquent trio.

Leur nouveau « Karim a bien mangé » est fidèle à la ligne post-punk un rien décadente défendue par Etron. Les Bruxellois nous renvoient pour ainsi dire en 1982, à l’époque de P.I.L., de TC Matic ou de Siouxie & The Banshees, avec ce petit côté malsain et résigné, laissant pourrir les illusions de la société moderne dans une couche de boue pour prôner avec le plus grand discernement un nihilisme salvateur et un goût prononcé pour l’absurdité. Sur des rythmiques obtuses et répétitives laissant dérailler une guitare distordue, les musiciens d’Etron chantent l’incommunicabilité (« Cannot love »), la crise personnelle (« Nervous breakdown »), font de la power pop (« N’gone »), disent impunément des gros mots (« Bigbadshitfatmotherfucker »), dansent dans la nuit (« Dans in de nacht ») ou pratiquent un surréalisme poétique d’obédience politico-coranique (« Janissaires »).

L’album dure 38 minutes, durée idéale qui évite de s’ennuyer et qui permet d’arrêter les frais au moment où les deux derniers titres « Jimmy broken arms » et « Pillow » deviennent un peu plus routiniers que le reste. On se retrouve avec un album néanmoins intéressant et impertinent, sorte de curieux mélange entre P.I.L., Joy Division, Talking Heads, Taxi Girl et Killing Joke, dans un esprit un peu passéiste mais qui devient génial quand on le compare à l’arthrose musicale qui afflige notre époque contemporaine.

Jeunes lecteurs qui ne volez plus dans les magasins ou qui attendez bien gentiment que le feu passe au vert pour traverser la rue, retrouvez l’esprit impertinent et frondeur de l’ère punk avec Etron, et appréciez plus particulièrement leur page Facebook, beau pied-de-nez à la socialisation outrancière et hypocrite de notre temps.

Pays: BE
Dark Dog Records
Sortie: 2015/09/15

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