[SIC] – Ray
Du point de vue de l’originalité, les Flamands de [sic] n’ont peut-être pas fait très fort en choisissant ce nom, déjà porté par des dizaines de groupes avant eux. Il y a même un autre groupe belge qui avait adopté ce patronyme à la fin des années 70, dans un registre synth pop minimaliste. Mais du point de vue musical, les Gantois s’élèvent sans problème au-dessus de la masse, avec leur jazzcore expérimental et instrumental déviant et énergique.
Le premier album « [sic]« paru en 2012 avait été présenté sur notre site. Revoici cette année Lieven Eeckhout (basse), Mattijs Vanderleen (batterie) et les saxophonistes Eva Vermeiren, Bertel Schollaert et Thomas van Gelder. On ne trouve plus par contre Maarten Jan Huysmans, qui figurait sur le premier album mais qui a disparu entretemps. Peut-être est-il devenu gourou de secte apocalyptique, marin au long cours, montreur d’ours ou candidat aux prochaines élections européennes, on ne sait pas.
Peut-être aussi a-t-il craqué face à l’univers complexe et chahuté mis en œuvre par ses ex-collègues, qui poursuivent ici la recherche du contre-accord absolu ou de la musique extra-terrestre. « Ray » remet sur la table de lourdes nappes électro associées à du saxophone en pagaille, continuant à élaborer ce style jazzcore, fruit des amours honteuses du jazz et du hardcore.
Le groupe n’affiche que cinq titres sur un album très court. Mais peut-être vaut-il mieux qu’il n’y ait pas trop de morceaux, car l’auditeur aurait du mal à retenir les titres. En effet, comme pour le précédent album, les gens de [sic] ont donné à leurs morceaux des appellations loufdingues : « JJ », « L*D », « ShpS », « TH » et « SPKk ». C’est sans doute le chien du bassiste qui a écrit ces titres au hasard en écrasant ses pattes sur le clavier de l’ordinateur.
La musique est par contre élaborée par des cerveaux supérieurs. La rythmique basse-batterie échange de lourdes décharges électriques avec la section des cuivres qui agit soit en opposition (« JJ »), soit en harmonie (« L*D »). Le morceau « ShpS » constitue l’épicentre de l’œuvre, débutant sur des cognements obtus de batterie qui laissent subitement la place à un changement de rythme, puis à une intervention brontosaurienne de la basse qui enterre tout sous une chape de plomb électro-doom insurpassable. On est alors au milieu du disque, au plus profond de la descente dans la vibration ultime. La remontée se fait en pleine lutte contre des assauts entêtés de saxophones mêlés de rythmes tribaux (« TH »), jusqu’à l’arrivée sur une vaste plaine inondée de la brume vaporeuse de cuivres à présent rassérénés, laissés en pâture à une basse grinçante (« SPKk »).
[sic], c’est un peu Ornette Coleman qui rencontre Black Box Revelation ou le fantôme de Gerry Mulligan revenant des profondeurs du Styx, les lambeaux de son suaire alourdis par la glaise. Ce groupe est un des plus originaux de la scène belge actuelle, mais c’est aussi un des plus difficiles à capter. Les majorettes et les culturistes risquent de ne pas s’y retrouver mais il faut parfois des sacrifiés pour faire avancer les grandes causes.
Pays: BE
Radical Pigeon Records
Sortie: 2014/04/14