ABLAZE – Le blues des terrils
Je vous parle d’un temps que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître. C’était le temps où Ablaze se proclamait premier groupe de blues de Belgique et sillonnait les routes entre Mons et Liège au début des années 70, en passant bien évidemment par son fief de Charleroi. Enfin, premier groupe blues de Belgique, il faudrait demander aux gens de Burning Plague qui ont produit un 33 tours en 1970, à la différence d’Ablaze qui s’est contenté de trois 45 tours autoproduits entre 1978 et 1980. Quoi qu’il en soit, premier ou pas, Ablaze a occupé le terrain des petits bars, des fêtes paroissiales ou des mini-festivals ruraux durant une bonne partie des années 70, avant de se séparer au début des années 80. Tenu par les frères Hembersin, Ablaze s’est aussi aventuré dans quelques pays européens, semant la bonne parole blues avec ses chansons électrifiées et urbaines. Après Ablaze, le groupe allait aussi s’appeler Nosy Parker ou Wax Python et continuer d’évoluer dans l’underground.
Ce n’est que de nombreuses décennies plus tard que l’on entend à nouveau parler d’Ablaze, avec Ernest Hembersin qui ressuscite son groupe avec l’aide de son premier batteur Jean-Claude Verhagen et un « petit nouveau » (ses rides sont moins profondes que celles des deux autres) : Pascal Brockmans à la basse. Ernest Hembersin a dû mettre à profit le temps libre de sa pension pour reprendre le collier musical après une honnête carrière passée à l’usine ou au bureau. Le voici en tout cas à nouveau à la tête d’Ablaze et qui plus est détenteur d’un nouvel album, le premier long format de son groupe, un « Blues des terrils » qui annonce déjà la couleur – grise – des chansons qui vont y être jouées.
Il faut louer ici les progrès de la technique qui permettent maintenant d’enregistrer, mixer et produire un disque dans sa cave grâce à quelques logiciels informatiques, ce qui permet à des petits groupes de se faire connaître ailleurs que sur scène et toucher un public plus large. Dans les années 70, la garde montée par les chasseurs de têtes des maisons de disques était fatale pour bien des formations, condamnées à jouer dans leur coin. Mais les maisons de disques étaient aussi une garantie de qualité qui évitait que n’importe qui ne parvienne jusqu’aux oreilles des auditeurs avec n’importe quoi.
Avec Ablaze, on balance un peu entre les deux points de vue. D’une part, l’amateurisme de la production et la voix qui laisse à désirer font regretter l’existence du studio à la portée de toutes les bourses. Mais de l’autre, l’enthousiasme des musiciens, leur sincérité et les paroles tantôt délirantes ou tantôt critiques des chansons font dire que finalement, Ablaze a bien fait de faire ce qu’il avait à faire en nous faisant partager ses chansons. La plupart d’entre elles ont été écrites dans les années 70, toujours en français. Elles se réfèrent à des structures blues rock bien connues (« Bandit des chemins » qui sonne comme le « Riot in cell block # 9 » de Leiber et Stoller, « Casseurs de rêves » qui se calque sur le « Crossroads » de Robert Johnson, « L’ado » qui s’inspire du « Diddy-wah-diddy » de Captain Beefheart). Des descentes de guitare slide viennent authentifier les références blues (« Le garçon maudit ») et « Reste un vide » nous plonge dans un slow blues qui rappelle le « Since I’ve been loving you » de Led Zeppelin. L’album se termine avec l’hilarant « Dahlia », copie du « Gloria » des Them, assortie de paroles rigolotes qui parlent du chat de la voisine.
Ablaze chante les heurs des malheurs de gens simples du bassin minier carolo, entre chômage, accidents de la route, dénonciation des profiteurs ou ennui adolescent. En ce sens, son authenticité est séduisante. Là où ça pèche un peu, c’est le chant d’Ernest Hembersin, entre gouaille ouvrière et cris stridents. Son registre vocal doit s’étendre sur une octave et demie mais ce qu’il nous chante est sincère et son message est sympathique. Louons donc ces sexagénaires qui n’hésitent pas à reprendre le bâton des pèlerins du blues pour continuer à taquiner notre société injuste et déficiente. J’aimerais bien voir les mecs de Black Box Revelation ou Malibu Stacy en faire autant dans 40 ans.
Pays: BE
Auto-production
Sortie: 2012/01/27