MOERLEN’S GONG, Pierre – Time Is the Key
L’année 1979 est chargée pour Pierre Moerlen. Après la sortie de l’album « Downwind » suivi d’une tournée de soutien, le travail en studio et en concert avec Mike Oldfield (« Incantations », « Exposed », puis « Platinum »), la participation à l’album de Mick Taylor (« Mick Taylor »), l’Alsacien repart en studio pour un nouvel album pour le label Américain Arista, toujours sous le nom de Pierre Moerlen’s Gong. De l’album précédent, seul subsiste le bassiste Hansford Rowe. Trop bousculé par son frère aîné, Benoît Moerlen s’en est allé. À la guitare, l’Américain Bon Lozaga, entendu sur « Expresso II » en 1978, comble le vide laissé par le départ du malheureux Ross Record, défaillant sur scène. Aux claviers apparaît le brillant Pete Lemer, ex-Seventh Wave, Baker Gurvitz Army et collaborateur de Mike Oldfield à l’époque, comme le sont également Joe Kirby et Nico Ramsden. Membre de Gong à l’époque de « Gazeuse ! » (1976) et invité dans « Expresso II » (1978), Allan Holdsworth, qui vient de quitter Bill Bruford, apporte à nouveau sa marque si caractéristique sur trois titres. Darryl Way (Curved Air) met sa touche personnelle sur un titre.
À plusieurs titres, « Time Is the Key » marque une nouvelle évolution. D’abord, il surprend par sa subdivision en deux parties distinctes, correspondant en gros aux faces un et deux de l’album original. En fait, la composition de Hansford Rowe assure une transition harmonieuse entre une première partie où vibraphone et marimba dominent outrancièrement et une seconde où la répartition des tâches est plus classique et équilibrée, avec guitares et claviers aux avant-postes. Ensuite, la prise en main de Gong par Pierre Moerlen avait toujours naturellement amené de nombreux percussionnistes à ses côtés. Ici, pour la première fois, il assure seul toutes les percussions, sans pour autant en réduire leur nombre et leur importance. Les premiers titres les mettent d’ailleurs en vedette, les autres instruments servant surtout à leur mise en valeur. Puis, aux côtés des vibraphones et autres marimbas, les claviers prennent une place plus essentielle que jamais, grâce autant aux talents personnels de Pete Lemer qu’aux sonorités particulières des nouveaux claviers de l’époque. Enfin, le chant, qui avait dévalorisé deux morceaux sur « Downwind », disparaît complètement.
De toute beauté, léger, délicat, aérien, bien construit, « Ard Na Greine » est entièrement dédié aux percussions, vibraphones en tête. Violon et contrebasse ne ressortent qu’à peine. « Earthrise » garde la même trajectoire bien que le vibraphone disparaisse, remplacé par une fine couverture de claviers et la batterie. Le tempo s’accélère sur « Supermarket » et « Faerie Steps ». Vibraphones et marimbas sont de retour et à la fête, soutenus par une guitare rythmique bien marquée, une basse solide et une légère couverture de claviers.
Bien conçu, bien rythmé, sous la direction de Hansford Rowe et ses différentes basses, « An American in England » marque la transition.
Le changement est total dès le titre suivant. Très appuyé grâce à la batterie et à la basse, « The Organ Grinder » place les guitares et les claviers à l’avant-plan et en solo. Dans la rythmique, « Sugar Street » possède un petit côté Funky bienvenu qui ressortirait plus encore sans les nappes de synthétiseurs. « The Bender » arrive sans transition nette et pénètre plus profondément encore dans le monde du Funk. Pete Lemer et son polymoog sont à la fête. Ils rappellent Herbie Hancock. Guitares, basse et batterie insistent avec vigueur. Carrément Rock pourtant, le solo de Nico Ramsden s’intègre idéalement dans la mécanique. C’est à nouveau sans transition qu’« Arabesque Intro & Arabesque » démarre. Le polymoog assure ce passage jusqu’au solo aventureux et débridé d’Allan Holdsworth. Vibraphone, percussions et claviers reprennent alors la main. « Esnuria Two » prolonge « Esnuria » sorti sur « Gazeuse » en 1976. D’égale qualité, il donne à nouveau l’occasion au merveilleux Pete Lemer d’étaler tous ses talents, idéalement porté par une rythmique d’enfer. À nouveau transcendants, les claviers positionnent déjà « Time Is the Key » dans la nouvelle décennie.
En définitive, même si « Downwind » contenait de nombreux moments palpitants, il souffrait aussi d’une faiblesse majeure, le chant. Avec « Time Is the Key », Pierre Moerlen ne se contente pas seulement de corriger cette erreur, il rabat aussi les cartes, installant audacieusement deux mondes différents en un seul album. En outre, ses compétences en tant que compositeur, arrangeur et instrumentiste paraissent au top. L’homme s’est aussi installé dans son temps. Il confirme sans nostalgie le fait que Gong est une affaire clôturée.
Les titres (43’36) :
- Ard Na Greine (6’10)
- Earthrise (2’25)
- Supermarket (3’36)
- Faerie Steps (5’33)
- An American in England (2’56)
- The Organ Grinder (3’56)
- Sugar Street (2’23)
- The Bender (3’16)
- Arabesque Intro / Arabesque (5’18)
- Esnuria Two (5’34)
- Time Is the Key (2’29)
Les interprètes :
- Pierre Moerlen : Batterie, Percussions, Vibraphone, Marimba, Synthétiseurs & Compositions (sauf 5)
- Hansford Rowe : Basse (3,4,5,6,7,8,9,10,11), Guitare acoustique (5) & Composition (5)
- Peter Lemer : Claviers (2,3,4,5,6,7,8,9,10,11)
- Bon Lozaga : Guitares (3,4,5,6,7,8,9,10,11)
- Allan Holdsworth : Guitare Lead (9,10,11)
- Nico Ramsden : Guitares (8)
- Joe Kirby : Contrebasse (1,2)
- Darryl Way : Violon (1)
Pays: FR
Esoteric Recordings ECLEC 2236
Sortie: 2010/11/29 (réédition, original 1979)