JUICY LUCY – Juicy Lucy
Le groupe Juicy Lucy n’aurait jamais vu le jour si les Misunderstood américains n’étaient pas venus vainement tenter leur chance en Grande-Bretagne dans les années 60. Ceci me donne l’occasion, avant de parler de Juicy Lucy, d’évoquer la mémoire de ce formidable groupe qu’étaient les Misunderstood, dont le plus grand trait de génie était d’avoir choisi ce nom des Incompris, appellation qui leur a collé aux basques tout au long de leur courte mais impressionnante carrière. Originaires de Californie, les Misunderstood sont remarqués par le célèbre DJ John Peel qui voit en eux un des groupes de R ‘n’ B les plus brutaux de la planète, plus énervés que les Pretty Things, plus violents que les Animals, plus inspirés que les Yardbirds. John Peel les amène en Angleterre mais ce qui a marché pour Jimi Hendrix capotera pour les Misunderstood. Auteurs de quelques 45 tours, ces citoyens américains sont rattrapés par la guerre du Viêt-Nam et doivent rentrer dare-dare chez l’Oncle Sam pour s’acquitter de leurs obligations militaires. Le leader du groupe, le guitariste Glenn Campbell, joue les réfractaires et fonde une seconde mouture des Misunderstood, avec le batteur Guy Evans et le bassiste Nic Potter (qui connaîtront plus tard le succès avec Van der Graaf Generator). Les choses ne marchent pas davantage et cette formation évolue en Juicy Lucy en août 1969, avec l’arrivée de Ray Owen (chant, ancien John Mayall), Chris Mercer (saxophone), Neil Hubbard (guitare), Pete Dobson (batterie) et Keith Ellis (basse, ex-Van Der Graaf Generator).
Cette première formation du groupe signe chez le célèbre label Vertigo, dont les 89 premiers disques marqués du fameux tourbillon au centre du vinyle sont maintenant traqués par les collectionneurs du monde entier. Leur premier album est réalisé fin 1969 et atteint la quatrième place des charts anglais après que le premier single du groupe « Who do you love/Walking down the highway » lui ait ouvert la voie en restant trois mois à la 14e place du Top 30. Il y a plusieurs raisons à ce succès. La première est l’indéniable qualité de la version de « Who do you love » jouée par Juicy Lucy, où on remarque la voix très beefheartienne du chanteur Ray Owen. La seconde est la pochette, qui représente une certaine Zelda Plum (ancienne star du porno des années 40 ? ex-strip-teaseuse des bars de Hong Kong ? en tout cas, elle semble bien blanchie sous le harnais) toute nue sous un paquet de fruits, une pochette à la limite de l’outrage en cette fin des années 60. Avant même que l’album ne soit commercialisé, toute la jeunesse ne parle que de cette pochette.
Le reste de l’album est tout aussi excellent, d’ailleurs, avec du blues lourd (« Mississippi woman », un « She’s mine, she’s yours » tout en groove poisseux), du psychédélisme aérien (« Just one time », l’indépassable raga tantrique et obsessionnel de « Are you satisfied »), de la country acide (« Chicago north western »), du funk indéfinissable (« Train ») et une reprise épileptique du « Nadine » de Chuck Berry. Notons que la réédition salutaire de ce disque à redécouvrir chez Esoteric Recordings est enrichie du bonus « Walking down the highway », titre paru à l’origine en face B du 45 tours « Who do you love ».
Pays: GB
Esoteric Recordings ECLEC 2215
Sortie: 2010/08/31 (réédition, original 1969)