BETA BAND (The) – Heroes To Zeros
Le 2 août, le groupe a annoncé sur son site Web le split officiel pour manque de succès commercial. Bien accueillis par la critique, les albums ne se sont jamais vendus en quantité suffisante, malgré des qualités évidentes. Encensé par la critique anglaise qui l’a ensuite laissé tomber (d’où le titre de l’album), le groupe en a gardé une prudence de Sioux vis-à-vis des media et n’a jamais recherché la notoriété. La cover photo, comme c’est souvent le cas, est une métaphore où on voit quatre personnages cernés de toute part se battre avec la rage du désespoir pour survivre. A votre avis, de qui s’agit-il ?
Le groupe, formé à Edimbourg en 1997, était composé de Stephen Mason, chant, John Maclean, DJ sampler, Robin Jones, batterie et Richard Greentree, basse. Ils puisaient leur inspiration du côté de Pink Floyd.
Ce nouveau CD est un mélange de samples, de beats programmés et de musiciens qui jouent les titres en direct, comme en concert, pour que ce soit plus naturel. L’album a été remixé par Nigel Godrich himself. Il a produit Radiohead, Air et Beck, parmi d’autres. The Beta Band a assuré la première partie de Radiohead mais n’a pas poursuivi cette expérience car il perdait une partie de sa liberté, à laquelle il tenait par-dessus tout.
L’intro de « Assessment » est très originale et entame le CD sur un rythme soutenu, avec force riffs de guitares ravageurs. Répétitif mais créatif, il donne à ce morceau un petit air d’originalité bienvenue, une petite touche écossaise qui est la marque de fabrique du groupe. La « brass section » est composée de Pete Fry, trombone, Neil Martin, trompette, et Pete Gainey, saxophone.
Par contre, « Space » évoque l’excellent Elbow, à moins que ce ne soit le contraire. Même démarche d’innovation permanente, même résultat empreint d’une qualité nettement au-dessus de la moyenne, même grande claque à la première écoute. Ces groupes sont nés à peu près en même temps, l’un à Edimbourg, l’autre à Manchester, à 300 km de distance.
Excellent, « Lion Thief » est bourré d’effets électroniques et de samples plus bizarres les uns que les autres. Ce melting pot apparent est en fait un mélange savant d’influences diverses qui se fondent en un produit unique et répétitif non dénué de créativité, où les percussions et le synthé tiennent une place prépondérante.
Plus jazzy dans sa facture, « Easy » se déroule sur un rythme soutenu entrecoupé de percussions et d’un thème très court joué puis répété à foison par l’harmonica. Le piano vient s’intégrer dans ce mélange savant et y apporter un peu de légèreté. Encore une mention très bien.
De même, « Wonderful » est une chanson d’amour très douce et en même temps très élaborée, avec des harmonies vocales magnifiques. Le thème principal très envoûtant joué à la guitare est de toute beauté. Ce titre compte aussi parmi les meilleurs du CD.
« Troubles » débute sur une petite intro guillerette caractérisée par l’utilisation d’un xylophone pour parler d’une saturation d’ennuis. Why not ? Sur le plan instrumental, la section « cordes » est composée de Dominic Pecher, violoncelle, Alex Lyon, violon alto, Ben Lee, violon, et Ruston Pomeroy, violon. Comment nous arrivons à survivre à tant d’ennuis et de mensonges est incompréhensible mais il est temps de vivre et de rire.
Un peu sur le même ton mais sur un rythme totalement différent et parfois donné par des aboiements, « Out-Side » donne toute l’étendue de la variété de l’album qui garde néanmoins sa cohérence. Chanson d’amour qui ne veut pas dire son nom, où la réalité se confond avec le rêve, elle enchantera les amateurs de morceaux innovants et originaux, assez rares dans le contexte actuel.
Agrémenté de gimmicks électroniques, « Space Beatle » est un titre atypique. « J’aime ta façon d’être, je t’aime même en morceaux » est son message clé. On dirait presque de la musique d’église, aérienne, parfois gaie, parfois plus amère, où l’orgue tient évidemment une place de choix. Les percussions, d’abord discrètes, ressemblent progressivement à des roulements de tambour qui annonceraient une menace éventuelle encore mal définie, avec en toile de fond le thème joué par l’orgue. On pense encore à Elbow, comme dans « Rhododendron », un instrumental qui débute aussi par l’orgue à consonance religieuse mais dont les breaks ont tôt fait de brouiller les pistes. Encore une petite merveille.
Tout aussi déroutant au point que l’on se pose des questions sur la qualité du support qui permet de l’écouter, « Liquid Bird » est une pièce maîtresse de l’album. La musique à dominante presque classique fait penser à John Foxx, artiste dont la démarche est aussi imprégnée d’un désir d’innovation permanente mais trop méconnu parce qu’il a été associé au rock électronique passé de mode. Il y a vraiment sur cette plage des moments de beauté indicible.
« Simple » porte bien son nom au début mais vire rapidement vers une partie beaucoup plus élaborée où la basse tient une grande place. Déroutant à souhait, on en vient à vraiment regretter la disparition de The Beta Band, indispensable au paysage rock actuel. La section « cordes » est la même que sur « Troubles ». Les paroles de ce morceau sont à la fois prémonitoires et empreintes de sagesse : I tried to see it their way/I tried to be alone/I tried to do my own thing/But the trouble with your own thing/Is you end up on your own. « A force d’aller son chemin sans se préoccuper des autres, on se dirige droit vers la solitude. » Il faut tout faire pour rechercher un ami.
« Pure For » est une lente incantation qui met en exergue toutes les qualités vraiment rares du groupe. Mais cela ressemble aussi à un chant du cygne majestueux qui sent sa fin prochaine. Cela laisse penser que le split n’a pas été improvisé mais fait l’objet d’une décision mûrement réfléchie. Ce titre est empreint d’une grande tristesse même s’il énonce des lendemains qui chantent.
Excellent CD, qui fera regretter la séparation du groupe au moment où il atteignait sa maturité. Voir disparaître des artistes de cette trempe quand les ondes résonnent des éructations débiles des guignols de la télé-réalité est un signe de plus de la déliquescence de la civilisation occidentale et devrait donner le cafard. Pour moi, c’est fait. Stop.
Pays: GB
EMI Records 07243 598164 2 5
Sortie: 2004/06/21