RAMASES – Glass top coffin
C’est une bien étrange destinée que celle du couple formé par Ramases et Selket, auteurs et interprètes de cet album quasi inconnu du grand public et exhumé pour une réédition, qui en vaut largement la peine, par le label Esoteric Recordings, lequel poursuit son travail de fouilles archéologiques du rock avec succès.
Lors d’un voyage à Londres en 1967, Martin Raphaël et son épouse Dorothy Raphaël aperçoivent dans une bouquinerie un livre dont la couverture représente la déesse scorpion égyptienne de l’Amour, Selket. Dorothy a alors une vision et se persuade qu’elle est la réincarnation de Selket, tout en ayant aussi l’intuition que son mari est la résurrection de Ramsès II. Un peu plus tard, durant l’été ’67, Martin a la vision de Ramsès II en personne, qui lui révèle qu’il est sur Terre « pour libérer les esprits des habitants et les avertir du danger que court la planète s’ils continuent à la maltraiter ». Dès cet instant, Martin va se mettre à composer des chansons de façon naturelle, avec une inspiration qui ne se tarit pas.
En 1968, CBS Records signe le couple Raphaël et décide de réaliser un single intitulé « Crazy One » qui pourrait déboucher sur un album, si les ventes décollent. Ce n’est pas le cas, tout comme pour un deuxième single édité en 1970, « Screw one », réalisé par le label Major Minor, qui venait de sortir le « Je t’aime moi non plus » de Serge Gainsbourg. Le label Vertigo les remarque alors, les signe et les envoie à Strawberry, studio qui est alors la propriété de Lol Creme, Eric Stewart, Kevin Godley et Graham Gouldman, les futurs 10CC. Ramases chante et joue ses titres à la guitare acoustique tandis que les quatre futurs 10CC les accompagnent comme un véritable groupe. L’album, intitulé « Space Hymns », naviguant entre folk et expérimentations psychédéliques, paraîtra en 1971, avec une pochette dessinée et signée par Roger Dean. Hélas, malgré une certaine reconnaissance du milieu branché et connaisseur, le succès, là aussi, ne sera pas au rendez-vous, sauf en Allemagne et en Afrique du Sud où, avec le temps, l’album marchera relativement bien.
Signalons que certains titres enregistrés lors de cette session furent écartés, parmi lesquels un certain « Neanderthal Man », qui sera repris par les 4 compères du futur 10 CC mais sous le nom de The Hotlegs et qui se vendra à 2 millions d’exemplaires, à l’insu de Ramases, qui le découvrira fortuitement lors d’un passage à la radio et qui sera bien entendu furieux d’avoir été ainsi dépossédé !
Entre 1972 et 1975, à la suite du décès de son père, qui l’affectera beaucoup, Ramases et Selket déménagèrent et restèrent discrets, jusqu’en 1975, date de la réalisation, chez Vertigo toujours, de leur deuxième et dernier album, « Glass Top Coffin », qui nous retient ici. Vertigo met les moyens à la disposition de Ramases, dont le fameux studio Phonogram à Londres, des musiciens confirmés (avec entre autres le groupe Brotherhood of Man, qui gagna l’Eurovision en 1976) et l’Orchestre Philharmonique de Londres, dirigé par Rob Young. Le concept tourne toujours autour de thèmes relatifs à l’univers, au mysticisme et bien sûr à la réincarnation.
Musicalement, les compositions sont dans l’ensemble solides et splendides. Le premier titre « Golden landing » met l’auditeur dans l’ambiance avec une instrumentation très sobre et un chant en chorale hérité des années 50 et 60, suivi par « Long long time » tout aussi sobre mais plus acoustique, avec percussions et rythme très fin à la basse, le morceau a des airs de Moody Blues sans le côté grandes pompes que ces derniers pouvaient afficher. Martin et Dorothy ont de belles voix, qui s’accordent très bien ensemble, comme le démontre le plus pop « Now Mona Lisa ». « God Voice » est presque chanté a capella, avec un refrain soutenu par une rythmique toujours très discrète ou finement ciselée, que l’on retrouve aussi sur le très aérien « Stepping stones ».
D’une manière générale, l’instrumentation des compositions est superbe de sobriété et se partage entre guitares acoustiques, batterie, percussion, basse et le Philharmonique de Londres, qui s’est complètement fondu dans cette légèreté, en évitant les arrangements symphoniques lourds et trop présents, hommage en soit rendu à son chef et arrangeur Rob Young, qui apporte ainsi une dimension supérieure au disque. Ainsi dans « Only the loneliest feeling », Dorothy chante uniquement accompagnée d’une contrebasse et sur fond d’océan. Son chant rappelle par moments la Marianne Faithfull de « Broken English » dans « Sweet reason ». « Saler Man » constitue sans doute le meilleur titre de l’album, avec un Raphaël chantant divinement, des chœurs magnifiques, une orchestration du Philharmonique de Londres riche et tout en finesse. « Children of the green earth » suit dans le même registre imparable, avec une splendide guitare acoustique et une mélodie qui vous lâchera difficilement. Le morceau « Glass top coffin » est plus rock, soutenu par une guitare distortionnée et une rythmique basse batterie la plus relevée de cet album. Enfin, « Golden landing (part II)» clôt l’album dans la même ambiance que l’avait ouvert le premier titre.
En 1978, Martin Raphaël se suicide et très vite sa femme Selket redevient Dorothy, quitte Felixstowe où séjournait le couple et marque une coupure très nette avec cette partie de sa vie en revendant le matériel musical de feu son époux. On n’entendra plus parler d’elle jusqu’à récemment, lorsqu’elle réapparaîtra dans des blogs et forums tenus par des fans de Ramases et dans lesquels elle expliquera avoir essayé de presque tout oublier de cette période. Étrange et intriguant destin donc que celui du groupe Ramases et de ses deux membres, tant sur le plan musical que le plan personnel et spirituel.
Esoteric Recordings poursuit son travail archéologique en exhumant d’authentiques trésors du passé, et « Glass top coffin » en est assurément un, par ailleurs enrobé de mystères entourant ses membres. Cet album constitue une belle découverte pour ceux, et j’en fais partie, qui n’avaient jamais entendu parler de Ramases. Je ne connais pas bien leur premier album, mais ce deuxième et dernier disque du couple Raphaël gagne à être découvert, arrivé à l’époque trop tard sur la scène rock, le punk bousculant déjà les grandiloquences exagérées des groupes progressifs circa 1975 et revendiquant le côté plus direct du rock, miroir emblématique des jeunes et de leurs revendications. Tous les amateurs de prog symphonique léger devraient y jeter l’ancre, ils apprécieront cette captivante escale au port d’une œuvre qui n’a jamais aussi bien mélangé et intégré les mélodies prenantes, les arrangements sobres et riches, les rythmiques fines et les concepts mystico-écologiques.
Musiciens :
- Ramases and Selket : chant et guitare acoustique
- Jo Romero : guitares acoustiques et électriques et tablas
- Pete Kingsman : basse
- Roger Harrison : batterie et percussions
- Barry Kirsch : piano et synthesizer
- Colin Thurston : basse sur « Long Long Time »
- Kay Garner, Sue Glover, Sunny Leslie and the Eddie Lester Chorale : choeurs (Sue et Sunny étant members de Brotherhood Of Man)
- Bon Bertles (de Nucleus) : sax
- Orchestres classiques : membres du Royal Philharmonic et London Symphony Orchestras
- Rob Young : arrangements orchestraux
Liste des morceaux :
- Golden Landing 6:05
- Long, Long Time 5:16
- Now Mona Lisa 2:59
- God Voice 3:18
- Mind Island 4:37
- Only The Loneliest Feeling 3:01
- Sweet Reason 5:48
- Stepping Stones 4:30
- Saler Man 5:06
- Children Of The Green Earth 3:31
- Glass Top Coffin 4:02
- Golden Landing (Part II) 2:23
Pays: GB
Esoteric Recordings ECLEC2184
Sortie: 2010/02/22 (réédition, original 1975)