DHARMAWAN, Dwiki – Hari Ketiga
Nous avions déjà parlé de Dwiki Dharmawan à l’occasion de ses albums ʺSo far so closeʺ (2015) et ʺPasar klewerʺ (2016), soulignant au passage le talent de ce pianiste indonésien, passé de la pop des années 80 au jazz fusion le plus élaboré, permettant à l’Indonésie de prétendre à un titre très sérieux en matière de défense du jazz sur la scène internationale. Depuis, Dwiki Dharmawan a sorti l’album ʺRumah Batuʺ en 2018 et revient ici avec son disque le plus ambitieux, ʺHari ketigaʺ.
Ambitieux, c’est le mot. Du point de vue formel, d’abord, avec un album double contenant plus de deux heures et demi de musique. Les deux CD de l’album sont remplis jusqu’à la gueule d’une fresque en neuf actes et le livret expose d’interminables développements et explications sur ce qui nous attend ici, une immense histoire de la Terre et de ses habitants. Du point de vue du contenu, ensuite avec une méthode de travail reposant sur l’improvisation musicale, avec par-dessus l’application de paroles élaborées plus tard, afin de coller à la teneur des morceaux instrumentaux. Pour réaliser ce disque fleuve, Dwiki Dharmawan a eu recours à des musiciens avec qui il a déjà abondamment travaillé. On retrouve ainsi Asaf Sirkis, batteur israélien installé en Grande-Bretagne, et le chanteur italien Boris Salvodelli, qui avaient officié avec Dharmawan sur l’album ʺPasar klewerʺ. S’ajoute aussi le guitariste allemand Markus Reuter, un spécialiste du tapping qui affiche également un impressionnant CV en tant qu’artiste solo et collaborateur dans une multitude de groupes fusion (centrozoon, Stick Men, Tuner, Europa String Choir, This Fragile Moment, Nocturne Blue…).
La genèse de cet album est longue. Dwiki Dharmawan et ses compagnons enregistrent les parties instrumentales en mai 2017 aux studios La Casamurada de Banyeres Del Penedés en Catalogne. Puis Boris Savoldelli pose ses voix et des effets sonores supplémentaires en juillet et août 2017 aux studios Insanology de Solto Collina en Italie. Dwiki Dharmawan va apporter également sur certains titres de la deuxième partie des enregistrements de musique traditionnelle indonésienne, remontant à la fin 2012. Le mixage et la mastérisation sont finalement faits par Mark Wingfield aux studios Heron Island en Angleterre, en août 2017 et avril 2020. Il n’est pas précisé pourquoi il y a eu un trou de trois ans entre les débuts des travaux et leur finalisation.
Vu la lenteur de la conception de cet album, on pouvait s’attendre à un résultat olympien. En fait, ce gigantesque disque va révéler des moments musicaux forts, mais également des passages atterrants. On découvre déjà avec une certaine appréhension la durée des trois premiers morceaux qui constituent le premier CD. Ces morceaux sont des actes et chaque acte se subdivise en plusieurs parties. C’est ainsi que l’acte I ʺThe Earthʺ fait 28 minutes et comprend huit parties, l’acte II ʺThe manʺ fait 34 minutes et a neuf parties et l’acte III ʺThe event horizonʺ affiche 14 minutes et trois parties. Sur le deuxième CD, ce sera un peu plus court, avec les six autres actes s’étalant sur des durées allant de 7 à 19 minutes. Certains de ces actes ont trois à cinq parties et d’autres sont unitaires.
Tout ce chapitrage subtil presque aussi compliqué que le système harmonisé de classification des marchandises dans le commerce international aboutit finalement à une longue succession de passages musicaux improvisés sur lesquels se plaque un chant en italien qui semble lui aussi improvisé si l’on en juge par les bizarreries vocales qui rendent ʺThe manʺ incompréhensible et les parties de skat qui occupent le troisième acte ʺThe event horizonʺ, parfois avec des résultats un peu ridicules par rapport à l’enjeu du concept (la Terre, l’univers, l’humanité, un peu de sérieux, les gars !). Oui, cette phrase est longue mais elle est à l’image de cet album qui n’en finit pas de déambuler dans des labyrinthes musicaux dont les seuls moments éclairants sont les parties de piano du grand Dwiki Dharmawan.
Pour ceux qui ont gardé un œil ouvert, il y a la deuxième partie, 78 minutes… On prend son courage à deux mains et on s’engouffre dans le tunnel, où nous attendent d’abord les vingt minutes de l’acte IV ʺThe loneliness of universeʺ. C’est vrai que c’est un grand sentiment de solitude qui s’empare de l’auditeur dès la première partie de cet acte, trois minutes trente de bricolage électronique instrumental grinçant et anarchique, relayé par la batterie qui soutient ce travail pendant encore près de cinq minutes. Des soupirs indistincts et des phrases non terminées complètent ce moment de douleur. Après un solo de piano ponctué de cris étouffés durant les sept minutes constituant l’acte V, l’acte suivant nous sert du chant traditionnel indonésien en guise d’apéritif, sur lequel Boris Savoldelli vient greffer de nouvelles plaintes sonores, ruinant magistralement les efforts du pauvre indonésien qui chantait si joyeusement. S’il y a une cause à l’échec de cet album, c’est bien le chant. Posé à tort et à travers sur des structures déjà établies, le chant arrive toujours comme un chien dans un jeu de quilles, soit avec des jérémiades en italien qui rendraient presque supportable Eros Ramazzotti, soit avec des geignements de pleureuse finissant par obscurcir les parties instrumentales, qui auraient pu faire un bon effet d’improvisation jazz fusion si elles étaient restées seules.
Nous n’allons pas tout révéler de la fin de cet album, afin que les auditeurs puissent aussi découvrir le dénouement par eux-mêmes, s’il y en a qui veulent bien se risquer à écouter ce disque. Après tout, il n’y a pas que le critique qui doit souffrir dans cette affaire. Mais sachez que ça va encore être le même délire jusqu’à la fin, faisant de cet album le premier faux pas de la carrière de Dwiki Dharmawan. Tout le monde a pu déraper à un moment ou à un autre, ce n’est pas bien grave et c’est même arrivé aux plus grands. Notre confiance reste intacte envers Dwiki Dharmawan, qu’on espère réentendre bientôt sur des disques plus inspirés que cette étrange errance.
Le groupe :
Dwiki Dharmawan (piano, claviers, bruits)
Boris Savoldelli (chant, effets vocaux)
Markus Reuter (guitare)
Asaf Sirkis (batterie, percussions)
L’album :
ʺAct I / The Earthʺ (28:22)
ʺAct II / The manʺ (34:02)
ʺAct III / The Event Horizonʺ (13:49)
ʺAct IV / The loneliness of Universeʺ (19:23)
ʺAct V / You’ll never be aloneʺ (06:52)
ʺAct VI / The fact is doneʺ (11:35)
ʺAct VII / The perpetual motionʺ (19:18)
ʺAct VIII / The dealʺ (09:37)
ʺAct IX / The memory of thingsʺ (11:24)
https://dwikidharmawan-moonjune.bandcamp.com/album/hari-ketiga
https://www.facebook.com/DWIKI-DHARMAWAN-Official-Page-63917208091/
Pays: ID
Moonjune Records
Sortie: 2020/10/16