Interview de Clémentine Delauney
MiB: Bonjour Clémentine, merci d’avoir accepté de nous accorder cette interview. Tout d’abord, comment ça va?
Clémentine: Je n’ai pas trop à me plaindre. Comme vous le savez, la France a décrété un nouveau confinement, mais j’ai la chance de pouvoir le passer à la campagne. Donc ça va.
MiB: L’annulation de tous les concerts et la mise à l’arrêt du monde de la musique, tout cela n’est pas trop dur à vivre?
Clémentine: On essaie de prendre les choses du bon côté. L’annulation des concerts nous laisse plus de temps pour l’écriture. Avec Michele (Guaitoli), nous avons pour la première fois commencé à écrire ensemble. On travaille donc sur le prochain album. On s’entend super bien en tant que personnes. Sur scène l’alchimie s’est faite toute seule. Pour l’écriture, c’est la même chose. Le travail en studio, c’est carrément la cerise sur le gâteau. On est les meilleurs « partners in crime ».
MiB: Peux-tu nous raconter comment vous en êtes arrivés à faire ce magnifique « live » avec Visions of Atlantis?
Clémentine: Pour moi, tout a commencé lorsque nous avons découvert le Bohemian Symphony Orchestra de Prague qui avait déjà à son actif plusieurs collaborations avec d’autres groupes de métal et notamment les tournées The Original Rock Meets Classic. On les a donc contactés en vue d’une possible collaboration. Jouer avec un orchestre symphonique était un rêve pour nous. Nous n’avions pas de projet prédéfini. Nous voulions juste tâter le terrain. Ils ont beaucoup aimé l’idée et ont accroché à notre musique. Du coup, nous avons commencé à réfléchir aux possibilités (quoi, quand, comment, sous quel format…) et nous sommes assez vite tombés d’accord sur le principe d’un enregistrement en live, une première pour nous. Une fois conclu l’accord de principe, il a fallu se demander comment nous allions nous y prendre. L’idée est alors venue d’ajouter l’orchestre sur un festival d’été pour lequel nous avions déjà signé. C’était une solution optimale en termes de capacité d’accueil du public et de niveau de production. Le Bang Your Head Festival (BYHF) en Allemagne est celui qui s’est montré le plus enthousiaste. C’est donc là que cela s’est fait.
MiB: Sachant que c’était un festival, n’était-ce pas trop compliqué sur le plan technique quand on sait dans quelles conditions les groupes doivent parfois jouer en festival? Les impératifs techniques doivent être monstrueux quand on veut enregistrer un live avec orchestre symphonique…
Clémentine: Nous avions convenu avec les organisateurs du BYHF que nous aurions besoin de temps pour les réglages et balances en tous genres. Il faut savoir qu’en festival, les groupes n’ont généralement pas de balance, mais uniquement un line check. Or, nous avions besoin de plus ici. La conditions était que nous devions avoir du temps pour les balances et réglages pendant l’après-midi. Le festival a été d’accord et nous avons eu 3 ou 4 heures pour les préparatifs groupe seul puis groupe avec orchestre. Nous avons ainsi pu être sûrs que tous les micros fonctionnaient et que tout était bien câblé. L’ingénieur son a aussi pu faire tous ses réglages pour bien équilibrer le tout.
MiB: La sortie de l’album tombe à point nommé en quelque sorte puisque la pandémie frustre tous les amateurs de musique… L’arrivée de ce live a permis à tous ces fans de se replonger dans l’ambiance des concerts tout en découvrant le groupe avec orchestre. Ce n’est pas rien.
Clémentine: Vu les circonstances, c’est en effet une coïncidence heureuse. C’est une manière pour nous d’avoir la possibilité d’offrir un show à un moment où personne ne peut se produire sur scène.
MiB: Avez-vous déjà envisagé de refaire ce concert, voire une mini-tournée avec l’orchestre après la sortie de l’album?
Clémentine: Une tournée avec orchestre n’est pas à l’ordre du jour pour l’instant. Par contre, nous avions prévu pour cette année de faire 2 festivals avec orchestre : le Masters Of Rock et le Metal On The Hill. Tous les festivals ayant été annulés pour l’été 2020, c’est reporté à l’an prochain, à condition que les festivals puissent avoir lieu bien évidemment.
MiB: En ce qui concerne l’enregistrement du prochain album que vous avez été en train d’écrire, l’expérience avec l’orchestre de Prague vous a-t-elle donné l’envie d’essayer d’avoir plus de sons « réels » plutôt que des sons gérés par ordinateur?
Clémentine: Le rêve serait de pouvoir enregistrer un album avec orchestre. C’est clair. Après, tout va dépendre du budget global de production de ce nouvel album. Vu la situation actuelle, je ne suis pas certaine que le budget sera augmenté par rapport à l’album précédent. Ou alors nous devrons faire d’autres choix, parce que le risque existe que nous ne puissions pas partir directement en tournée, comme cela se faisait par le passé à la sortie d’un nouvel album. Peut-être devront nous mettre de l’argent dans une diffusion en streaming ou dans d’autres clips pour être présents en ligne.
MiB: Est-il exact que nous pourrons aussi t’entendre sur « Memoria« , le prochain live du groupe Serenity ? Un retour aux sources?
Clémentine: Tout à fait, comme au bon vieux temps. Je suis invitée sur deux morceaux de ce concert acoustique. Mais je n’en dirai pas plus sur les titres que j’interpréterai pour ne pas gâcher la surprise.
MiB: As-tu encore d’autres projets de collaborations dans un proche avenir? Les collaborations ont la cote auprès de beaucoup d’artistes qui y voient un moyen de subsister en ces temps difficiles. Anneke Van Giersbergen le fait par exemple. Et on peut le comprendre car il va falloir tenir jusqu’à ce que cette crise soit derrière nous…
Clémentine: La grande différence entre une artiste comme Anneke Van Giersbergen et nous, c’est que nous ne vivons pas de notre musique. Nous avons tous un travail à côté. De ce fait, notre approche musicale et notre créativité restent donc sous contrôle. C’est nous qui fixons nos conditions. Nous n’avons pas besoin de « nous vendre » en tant qu’artistes pour survivre.
MiB: Penses-tu que cette crise va redéfinir le métier d’artiste? La crise va-t-elle accélérer ce mouvement selon toi? Les artistes sont-ils voués à ne plus pouvoir vivre de leur art?
Clémentine: C’est déjà largement le cas dans la musique metal. Pour vivre de son groupe metal, il faut avoir atteint un stade de notoriété comme Kamelot, Epica et au-dessus. En dessous de ce niveau, c’est compliqué. C’est la réalité d’une grande majorité de groupes et artistes qui ont tous une activité connexe rémunérée. Pour faire simple, aujourd’hui un artiste dans le monde de la musique n’est pas juste un musicien. La crise actuelle met en péril les groupes qui dépendaient de leur activité en live et des cachets qui vont de pair, des ventes de musique et produits dérivés.
MiB: Il y aura sans doute aussi une forte pression à la baisse sur les cachets versés aux artistes lors des festivals.
Clémentine: On a en effet connu une spirale d’inflation des cachets des têtes d’affiches dans les festivals et il est certain que cela ne pouvait plus durer. La bulle a explosé. Les artistes vont devoir se montrer plus raisonnables sur les cachets demandés et arrêter de mettre les festivals en compétition les uns contre les autres. Mais il est clair que la crise touche tous les artistes et que tous ont dû et vont devoir s’adapter pour arriver à créer de la valeur sur la toile, le temps de pouvoir reprendre le chemin de la scène. Peut-être les tournées vont-elles aussi devoir être pensées autrement. Il faudra peut-être accepter de faire des concerts avec moins de monde. Bref, il va falloir composer avec une certaine logique de décroissance. Tous les artistes pensent en termes de croissance en voulant toucher plus de monde, jouer dans des plus grandes salles, avec plus d’effets sur scène, etc. En fait, la crise oblige tout le secteur à faire strictement l’inverse en revoyant tout à la baisse. Il n’est pas impensable par exemple que les tournées reprennent d’abord en mode acoustique car ce type de concert est plus propice au respect des règles sanitaires.
MiB: Certains grands artistes ont déjà reporté leur tournée à 2022.
Clémentine: En effet, certains très grands noms ont fait le choix de ne pas s’adapter et préfèrent reporter leur tournée à l’après-crise. Je m’occupe aussi de l’organisation de concerts et tous les concerts prévus de janvier à mai 2021 sont déjà reportés. Donc le choix est le suivant: les groupes pourront tourner l’année prochaine en formation réduite ou en acoustique, sinon ils devront attendre la fin de la crise pour repartir en tournée comme avant…
MiB: Y aura-t-il un impact sur la survie des salles de concert?
Clémentine: Sans doute les petites salles auront-elles du mal à survivre à la crise. Les pouvoirs publics accordent des aides pour soutenir la culture, mais tout dépendra de quand l’activité pourra reprendre.
MiB: En parlant de la nécessité pour les groupes de se réinventer, les fans de Visions of Atlantis peuvent-ils espérer retrouver le groupe en streaming pour patienter jusqu’au retour à la normale?
Clémentine: Nous y avons pensé. Mais le problème est que nous n’habitons pas tous dans la même région et avec le confinement, les déplacements sont compliqués. Nous avons donc dû postposer ce projet. L’envie est là, mais il faut que les conditions nous permettent de le faire. De plus, nous avions prévu de repartir en tournée cet automne. Un streaming aurait fait double emploi. Mais nous ne savions pas encore que la tournée serait reportée… Après il était trop tard pour tout organiser.
MiB: Quand vous avez enregistré le dernier album studio, quel était ton morceau préféré? Était-ce toujours le même après l’enregistrement avec l’orchestre symphonique?
Clémentine: Quand nous avons eu terminé d’enregistrer l’album studio, j’étais incapable de sortir un titre préféré du lot tant l’album formait un tout. J’adore tous les titres de cet album. J’aimais beaucoup « Release My Symphony » depuis le départ, mais aussi « Heroes of the Dawn » ou même d’autres. Impossible de choisir… L’album a diverses facettes mais forme un tout cohérent. Je l’adore. En ce qui concerne le DVD, un morceau m’a donné du fil à retordre émotionnellement au point que la première fois que nous l’avons répété avec l’orchestre, je n’ai pas pu le chanter. C’était « The Last Home« . C’était trop émouvant quand j’ai entendu les cordes sur ce morceau… Donc oui, la version orchestrale m’a montré ce titre sous une autre lumière et m’a touchée encore plus.
MiB: Que penses-tu de plateformes comme Tipeee ou Patreon pour promouvoir les artistes?
Clémentine: J’y pense, mais je dois encore trouver ma propre façon de le faire. J’ai toujours été dérangée à l’idée que des gens paient pour me parler ou pour m’entendre. Pour moi, la musique est pour tout le monde. Je ne souhaite pas discriminer les gens par l’argent. En fait, je nourris moi aussi l’idée de lancer un projet solo à côté de Visions. Mais j’ai un problème avec l’idée de réserver l’accès à certains contenus aux personnes qui paient une certaine somme d’argent.
MiB: Quels sont tes autres projets pour le futur?
Clémentine: J’ai créé un blog (https://clementinedelauney.com/) où je raconte mon parcours. L’idée m’est venue pendant le premier confinement. Cela fait 10 ans que je suis active sur la scène musicale et je me suis rendu compte que j’avais eu beaucoup de chance et d’opportunités. J’ai aussi franchi certains obstacles, tant dans ma vie personnelle que dans ma vie artistique. Cette expérience, j’ai voulu la partager dans l’espoir d’aider d’autres artistes, d’autres aspirants à s’engager dans cette voie.
MiB: Comment vois-tu la position de la femme dans le milieu du metal?
Clémentine: Je trouve que le milieu du metal est un milieu sain : il y a un respect de la femme, même si on attend toujours des chanteuses qu’elles jouent la carte sexy. Je le déplore un peu et je compte d’ailleurs écrire à ce sujet. Je vois des chanteuses de groupes émergents avec qui j’ai été en tournée et que je connais personnellement, qui se mettent à poster des clichés dénudés sur Instagram qui n’ont rien à voir avec la musique et j’ai envie de leur dire qu’elles n’ont pas besoin de cela. Le public vient pour la musique. L’ensemble doit être harmonieux : il doit y avoir un projet musical et une image qui va avec. Il est normal de se mettre à son avantage, mais il n’est pas utile de chercher de la visibilité en jouant la carte de la provocation ou du dénudé. Un artiste cherche à séduire son public. C’est normal. Mais pas besoin d’aller jusqu’à la séduction à caractère plus sexuel. Certains groupes à chanteuse ont beaucoup de succès sans jouer cette carte-là. Un groupe comme Battle Beast est l’exemple parfait. Noora a un charisme fou et elle porte littéralement le groupe. C’est bien la preuve.
MiB: On te sent épanouie dans Visions. Était-ce le groupe qu’il te fallait?
Clémentine: Visions est un marqueur important dans mon parcours musical, depuis sept ans déjà. Je me sens vraiment bien dans le groupe. Mais cela ne veut pas dire pour autant que je ne vais jamais rien faire d’autre. Comme je partage le « lead » avec Michele, je ne suis pas moi-même à 100%. Je me sens parfaitement bien au sein du groupe, mais j’ai encore d’autres choses en préparation. Je ne veux cependant pas encore en parler à ce stade car les choses doivent encore mûrir.
MiB: Exit Eden, la suite bientôt?
Clémentine: Nous sommes censées travailler sur un nouvel album en avril prochain. Nous allons continuer dans la même direction musicale : des tubes pop repris avec des gros arrangements metal sympho. Il y aura des covers, mais nous allons aussi essayer de composer. Rien n’est encore fait. Il est possible que l’effectif du groupe change un peu. On verra.
MiB: Mille fois merci d’avoir accepté de répondre à nos questions.
Clémentine: Merci à Music in Belgium et à tous nos fans de Belgique.