Mister Loverman
Près d’un an après avoir présenté son album au Club, Loverman était de retour à l’AB pour boucler la boucle. La fin d’un chapitre qui a accompagné l’homme dans son processus de guérison affective mais qui a surtout permis à l’artiste de s’épanouir. Une soirée chargée en émotion, donc…
En tant que one man band, il n’allait évidemment pas inviter une fanfare ou un orchestre symphonique pour assurer la première partie (encore que, la seconde option pourrait se révéler magistrale à ses côtés…). C’est donc une one girl band répondant au pseudo Che Vuoi qui s’est chargée d’ouvrir la soirée. S’affairant derrière une imposante console, la chanteuse polyglotte (elle chante en italien et en français) déclame ses textes abstraits à la manière d’une Françoise Hardy qu’aurait coachée Serge Gainsbourg sur un environnement pas loin de rappeler celui d’un Pierre Henry en mode trip hop. Des parties de claviers brumeuses, un filtre vocal et une semi-obscurité complétant un tableau parfois assez déstabilisant.
Omniprésent sur le circuit des festivals cet été, Loverman a eu tout le loisir d’y développer son personnage. Artiste complet et musicien accompli, le leader de Shht s’est embarqué dans une aventure en solitaire au lendemain d’une rupture sentimentale suffisamment sérieuse que pour développer une écriture écorchée tranchant avec l’univers déjanté de son groupe. Mélancolique à souhait, « Lovesongs », un premier album publié voici un an, lorgnait ainsi du côté introspectif de Nick Drake et de Scott Walker. On peut désormais y ajouter Elton John à l’écoute de la somptueuse nouvelle composition au piano qui a suivi un tout aussi déstabilisant « Another Place » en guise de point de départ musical.
Juste avant, c’est derrière un écran et un rideau entrouvert que l’artiste a introduit son set, basé sur des jeux d’ombres et la manipulation d’un trombone sous toutes ses formes. Une démonstration théâtrale proche de l’art dramatique qui ne sera pas isolée. Ainsi, des pas de danse dignes d’un ballet de Béjart illustreront un intermède en fin de set. Le gaillard n’a par ailleurs aucune gêne à se balader en pantalon de training blanc découpé à hauteur du bas ventre et des fesses, laissant généreusement apparaître son boxer. Un t-shirt en lambeaux et une corde à ballots en guise de sangle de guitare pourraient l’assimiler à un romanichel mais dans son cas, rien d’anormal…
Entre-temps, il a migré du côté droit de la scène, là où l’attend un cheval à bascule sur lequel il se fendra d’un autre nouveau titre acoustique avant que « Call Me Your Loverman » ne prenne les spectateurs aux tripes. Le tout dans un impressionnant silence respectueux, peu courant dans une salle de concert. Il faut dire que le gaillard subjugue son auditoire et ne laisse personne indifférent. Une version de « Candyman » à arracher des larmes se dévoilera davantage dans ces circonstances, d’autant que le visuel discret et voilé (une araignée qui tisse sa toile) ajoute de la magie à l’histoire.
Mais il ne faut pas croire que les ambiances plombées, aussi solennelles soient-elles, se taillent la part du lion dans le set. « Tinderly », parsemé de cris dont il a le secret, et surtout le survolté « Would (Right In Front Of Your Eyes) », joué en équilibre sur un retour de scène, feront grimper la température d’un cran. Avant la traditionnelle participation du public sur le kilométrique « Differences Aside ». Même plus besoin de répéter les deux phrases-clé, les spectateurs les prononcent désormais spontanément. Et s’en donnent à cœur joie au micro du chanteur qui passe un sacré moment à leurs côtés avant de remonter sur scène et de terminer le morceau au piano pendant qu’une spectatrice complice ne l’accompagne dans de surprenantes contrées hésitant entre soul et (free) jazz.
C’est alors qu’il traînera son piano jusqu’au milieu de la scène pour une fin de set émotionnellement chargée, culminant avec une confession. La gorge nouée, il annoncera en effet que le projet en tant que tel n’avait plus vraiment de raison d’être et que le concert de ce soir serait son dernier (pour un bon moment en tout cas). Info ou intox ? La question reste posée mais la bonne nouvelle, c’est que ses blessures sentimentales se sont finalement cicatrisées. La bouleversante interprétation de « Nothing Ties » dans la foulée, sur fond d’un visuel où l’on voit un carton découpé en forme de cœur jeté dans un feu et s’embraser, accentuant le caractère symbolique du moment. Ah, l’amour et ses souffrances…
Organisation : AB