Let the (black) Suuns shine in your heart
Délibérément ou pas, les Canadiens de Suuns nous ont littéralement pris à contre-pied avec leur récent cinquième album, « The Witness ». Pour le moins déconcertant, il décline en huit morceaux une électro introspective dont les subtilités peinent à se dévoiler, même après plusieurs écoutes. On était donc curieux de voir ce qu’ils allaient en faire à l’Orangerie du Botanique, lors de la deuxième date de leur tournée européenne entamée la veille à Nimègue.
Pas de première partie au programme, le groupe est donc monté sur scène vers 20h30 dans la pénombre au son de la curieuse intro de « Third Stream », titre qui ouvre également la nouvelle plaque. Des stridulations de criquets et des nappes flippantes permettront donc aux musiciens de prendre place à proximité de leurs instruments. Fait cocasse, outre les deux préposés officiels aux bidouillages (dont un à l’accoutrement strict qui renvoie aux gars de Kraftwerk), chacun dispose d’une machine plus ou moins perfectionnée à proximité de lui afin de laisser libre court à ses délires.
Le guitariste Ben Shemie s’est alors approché du micro pour officiellement lancer les festivités d’une voix exagérément trafiquée, ou en tout cas nettement plus que d’habitude. Un traitement en adéquation avec celui appliqué à « The Witness » qui a tout de même de quoi perturber. Encore que, sur « Witness Protection » interprété dans la foulée, des intonations proches de celles de Beck au début de sa carrière soulignent leur esprit aventureux, le tout sur des beats hypnotiques.
Mais un traitement qui peut aussi se montrer dérangeant, comme sur un « Clarity » se traînant en longueur via des improvisations jazzy à la limite de nous envoyer au bar ou un « Go To My Head » sombre et retenu à l’intro kilométrique. Heureusement, les choses allaient ensuite reprendre un cours normal et nous permettre de retrouver progressivement le Suuns de nos souvenirs via un angoissant mais relevé « C-Thru », dernier extrait du nouvel album (si ce n’est un groovant et envoûtant « The Trilogy » en toute fin de set).
« Fiction », issu du EP du même nom publié en plein confinement l’an dernier (et première sortie sur leur nouveau label Joyful Noise), permettra aux musiciens d’enfin se lâcher via notamment deux guitares et un final cacophonique du meilleur effet. Une parfaite introduction à la seconde partie du concert d’une intensité sans égal. Celle-ci culminera avec un franchement électro « Translate » et une ensorcelante version de « Pie IX », presque méconnaissable. Tout ceci avant les premiers mots à l’adresse du public suivi du meilleur extrait de « The Witness » dont on parle plus haut, même si on aurait préféré une utilisation moins intensive du vocoder.
Les rappels débuteront curieusement par des sons que l’on aurait dit issus d’un jeu vidéo vintage avant de virer en un déstructuré mais toujours aussi excellent « 2020 ». Ils boucleront ensuite la soirée toutes guitares en avant par un « Gaze » au final chaotique qui verra notamment un saxophone saccadé emmener les musiciens vers un trip expérimental. Ce qui synthétisera à la perfection une soirée à deux visages, même si l’énigme « The Witness » semble encore loin d’être résolue.
SET-LIST
THIRD STREAM
WITNESS PROTECTION
CLARITY
GO TO MY HEAD
C-THRU
FICTION
INSTRUMENT
TRANSLATE
PIE IX
THE TRILOGY
2020
GAZE