Les Nuits 2024: Yard Act et Timber Timbre, la claque et l’arnaque
Gros dilemme ce dimanche aux Nuits : Yard Act sous le chapiteau ou Timber Timbre à l’Orangerie ? Vu qu’il était impossible de choisir et que les horaires semblaient relativement compatibles, on a décidé de combiner les deux. En route pour un marathon musical intense et… contrasté.
C’est Murkage Dave qui a lancé les festivités sous un chapiteau clairsemé peu avant 19h. On dit souvent que la chance sourit aux audacieux et cet adage convient parfaitement au Londonien qui a un jour envoyé un message à Yard Act via Instagram. Et le voici en ouverture du volet européen du Dream Job Tour qui se clôture ce soir au Bota. Un choix curieux vu que le gaillard chauve et barbu officie plutôt dans un registre soul hip-hop à la Frank Ocean assez linéaire (il joue seul sur scène et lance ses bandes sonores via un radiocassette 80’s). Son humour lui permet toutefois de captiver l’auditoire via des titres comme « Please Don’t Move To London It’s A Trap » ou « Murkage Dave Changed My Life » pendant lequel il mentionne Craig David… avec qui il partage peut-être un certain sens du groove.
Scarlett O’Hanna ouvrait quant à elle l’Orangerie et retrouvait le Botanique après une absence de dix ans. Dix années, c’est aussi l’écart entre l’acclamé « Romance Floats » et le tout chaud « Precious Nothings », un quatrième album que l’on n’attendait plus. Une absence due à différents facteurs même si elle n’est pas restée les bras croisés entre-temps. Si une ambiance sombre et lugubre accentuée par une basse omniprésente régnait dans la salle à notre arrivée, les guillerets « Unafraid » (dont Sylvie Kreusch serait fière) et « Open Doors » allaient ensuite lui redonner des couleurs. Non pas qu’elle ait viré synthpop mais la légèreté des deux premières plages dudit album tranche avec la mélancolie à laquelle elle nous avait habitués. Une parenthèse refermée par un menaçant « Stick With You » sur lequel plane l’ombre de Twin Peaks.
On aurait aimé la voir développer davantage son univers personnel mais, sous le chapiteau, les Londoniens de Folly Group avaient déjà entamé leur set à du cent à l’heure et le punchy « East Flat Crows » sera notre première secousse sismique de la soirée. À l’instar de Squid à qui on pourrait par moments les comparer, c’est le batteur qui, en plus de tenir la cadence, prend les vocaux à son compte. Même s’il est aidé dans ses tâches par les deux camarades à sa droite (le guitariste pour la seconde voix, le claviériste aux pads électroniques pour la rythmique). Le quatuor qui vient de sortir son premier album (« Down There! ») est complété par un bassiste qui se démarquera notamment sur « Fashionista ».
On le voit, les percussions omniprésentes balisent des compositions aux influences à chercher du côté de Foals et de Crack Cloud. Sur scène, elles se voient accélérées à outrance par une utilisation intensive du cowbell, ce qui a parfois tendance à décontenancer. Le souci, c’est que l’on alterne des moments lumineux (« I’ll Do What I Can », « Sand Fight ») et d’autres plus dispensables (« Pressure Pad », « Bright Night »). En fin de set, les percussionnistes échangeront leur poste, ce qui aura pour effet de libérer complètement le leader au look de Carl Barât en singlet. Chacun reprendra toutefois sa position initiale pour le très carré et bourré de tension « I Raise You (The Price Of Your Head) » en guise de final. Le public semble à point pour accueillir Yard Act…
Mais avant, petit détour par l’Orangerie pour le slot de River Into Lake. Le groupe emmené par Boris Gronemberger a publié en février dernier « Rise & Shine », un deuxième album sans doute un rien plus compliqué d’accès que l’impeccable « Let The Beast Out ». Des écoutes répétées s’avèrent ainsi nécessaires pour s’y immiscer mais c’est alors qu’elles se dévoilent en profondeur. Sur scène, elles prennent même une dimension supplémentaire insufflée par un dynamisme collégial. Car si l’incroyable Boris, véritable machine métronomique, gère simultanément une multitude d’aspects (y compris le lancement d’un jingle pourri destiné à détendre l’atmosphère), le projet n’aurait certainement pas la même intensité sans les musiciens aguerris qui l’accompagnent.
Citons ainsi Aurélie Muller (Blondy Brownie, Fabiola) pour l’aspect exotique, elle qui jongle entre le xylophone (cette zénitude sur « Don’t Drive Into The Tree »), le saxo et la basse tout en assurant les chœurs. Du côté opposé de la scène, Lucie Rezsöhazy (Oberbaum, Fabiola) rayonne derrière son clavier alors que Cédric Castus (Castus, Mièle) s’en donne à cœur joie avec sa guitare. Il métamorphose notamment « Beside You » en lui conférant ce succulent aspect rugueux. Sans oublier Frédéric Renaux (He Died While Hunting) et sa basse chantante sur un titre comme « Impatience ». Un travail d’équipe à apprécier à sa juste valeur dont on retiendra encore le délicat « Drawing Cards » avant que l’appel du chapiteau ne soit trop fort…
Les sauvages de Yard Act y avaient déjà entamé leur travail de démolition pour ponctuer de la meilleure manière une tournée entamée deux mois plus tôt, soit pile au moment de la sortie de « Where’s My Utopia? ». Le deuxième album des natifs de Leeds a beau partir dans tous les sens, il n’en demeure par moins addictif et figurera à n’en point douter parmi nos futurs tops de l’année. On sent qu’il veulent en découdre et « Pour Another », le titre balancé à notre entrée dans l’endroit surchauffé, avait déjà atteint l’objectif. Aux côtés du survolté leader James Smith, outre un bassiste sosie de Jarvis Cocker et un guitariste au look Gogo Bordello déchaîné sur « Land Of The Blind », on retrouve deux choristes elles aussi intenables et bien en voix. À l’arrière de la scène, le claviériste joue derrière une sorte de comptoir devant lequel clignote le titre de l’album.
Un album sur lequel on retrouve quelques compositions imparables, à l’instar de l’ironiquement prétentieux « We Make Hits » et du très Ian Dury mode disco « Dream Job ». On remarque également une volonté de se démarquer du tag post-punk auquel ils sont associés. En conséquence, le flow franchement hip-hop d’un leader s’égosillant sur un rythme soutenu et une guitare omniprésente sont légion (« Fizzy Fish », « Down By The Stream »), s’adoucissant faussement de temps à autre, moment où une lointaine comparaison avec Mike Skinner (The Streets) prend un certain sens (« A Vineyard For The North »).
Le fait par ailleurs qu’ils déballent la set-list quasi sans respiration décuple une puissance à laquelle il est compliqué de ne pas succomber. Ou lorsqu’à un dingue « Payday » succède un « The Overload » encore plus furieux. Et on ne vous parle pas de « The Trench Coat Museum », le frappadingue final d’un quart d’heure lors duquel tant Murkage Dave que Folly Group ont débarqué sur scène pour fêter comme il se doit les derniers moments d’une tournée qui restera visiblement gravée dans les annales. Le bordel sur scène, la folie dans le chapiteau. La communion est totale… et la prestation à classer dans le top des Nuits 2024.
À peine le temps de reprendre ses esprits que la dernière ligne droite se déroulait à l’Orangerie pour le set de Timber Timbre. Taylor Kirk est revenu l’an dernier avec « Lovage », un excellent nouvel album paru six ans après « Sincerely, Future Pollution ». Il était venu le présenter dans la foulée au Sonic City mais sa prestation brouillonne en avait déçu plus d’un. Il nous devait donc une revanche mais il ne saisira malheureusement pas l’opportunité de se réconcilier avec le public belge. Attention, musicalement parlant, tout est parfait. Sa voix caverneuse, les intenses nappes vintage qui renvoient par moments vers Madrugada (« Sugar Land »), la batterie retenue (« Trouble Comes Knocking ») et les moments suspendus (« Confessions Of Dr. Woo »).
Mais est-ce bien nécessaire de jouer dans l’obscurité la plus complète, engendrant nombre de collisions et de pieds écrasés par des spectateurs rendus aveugles bien malgré eux. Sur scène, de faiblardes lumières rougeâtres tranchent péniblement la pénombre mais à peine que pour distinguer le leader officiant loin derrière. Nos amis photographes, dégoûtés, pourraient vous en parler pendant des heures…
Tout ceci serait sans doute resté anecdotique si, après moins de quarante minutes et au terme d’un flippant « Woman », le Canadien n’avait pas quitté la scène en souhaitant une bonne fin de festival aux spectateurs. Surpris, ceux-ci ont toutefois poussé un ouf de soulagement en voyant revenir le groupe pour un rappel qui, après le seul (et avec le recul bien nommé) « Run From Me », ressemblait presqu’à une injure. D’autant que la set-list mentionnait pas moins de seize morceaux. Mais il s’agissait de celle du Trianon à Paris le 21 avril dernier… En attendant, la frustration était palpable et atteindra même le stand merchandising. Finalement, combiner chapiteau et Orangerie n’était pas une si mauvaise stratégie…
Organisation : Botanique