Un monde fou, fou, fou avec Hanni El Khatib
Le garagiste rock Hanni El Khatib était en concert ce 11 novembre au Botanique : une occasion d’aller y faire un tour. A la suite des White Stripes et de son génial concepteur Jack White, toute une vague de groupes garage rock revivalistes s’est engouffrée dans un créneau encore porteur, plus de dix ans après son ignition. Il y eut ensuite les Black Keys et, dans une moindre mesure, les Kings Of Leon, qui donnèrent eux-mêmes naissance à de nouveaux pelotons de coureurs tentant de rattraper les groupes de tête. Hanni El Khatib est un peu dans cette situation. Le nom ne dit pas encore des choses à tout le monde mais ne soyez pas trompé par la consonance : Hanni El Khatib n’est ni un imam barbu ni un petit vendeur à la sauvette de tee-shirts ʺN… ta mèreʺ des ruelles de Barbès. C’est un musicien originaire de Los Angeles dont le père est palestinien et la mère philippine. Ces deux êtres fuyant sans doute leurs catastrophes naturelles respectives par le refuge en Amérique ont donné au monde un être qui ne ressemble ni à un Arabe, ni à un Asiatique mais ferait plutôt un bel Espagnol, le genre matador sévillan ou coiffeur pour dames madrilène.
Pour semer davantage la confusion, Hanni El Khatib ne fait ni dans la musique berbère, ni dans la harana ou le kundiman. Il se consacre à ce bon vieux rock ‘n’ roll qui n’en finit pas de renaître au fil des décennies. Ayant passé quelques années comme directeur des ventes dans une boîte angélino de fringues pour skate-boarders, Hanni El Khatib arrive tard dans la profession rock. Il a trente ans lorsque sort son premier album ʺWill the gun come outʺ en 2011, se plaçant ainsi dans la catégorie des petits maîtres du garage rock avec cet album rugueux et matois, laissant transparaître un honnête talent à défaut de génie. Même constat avec ʺHead in the dirtʺ, successeur du premier, qui se veut même un peu plus affiné, permettant à El Khatib de placer avantageusement quelques-unes de ses compositions dans des publicités à la gloire de l’American way of life (Captain Morgan, Nike, Nissan….). On trouve aussi sa chanson ʺNobody moveʺ dans le film ʺKick ass 2ʺ, je vous laisse juges…
Quoiqu’il en soit, Hanni El Khatib a entamé sa course dans le peloton et il s’est particulièrement distingué en France, où il effectue depuis deux ans de nombreuses tournées pour satisfaire un public conquis. C’est aussi à Paris qu’il rencontre le fameux Dan Auerbach, guitariste des Black Keys qui produit son dernier album en date. Et c’est la France qui bénéficie cet automne de la majeure partie de la tournée européenne du garagiste bellâtre. Pas moins de dix dates sont consacrées au pays de Balzac, ce qui le place loin devant l’Allemagne (trois dates) et la Grande-Bretagne (une seule date à Londres le 5 décembre). La Belgique s’en sort à bon compte avec une visite au Botanique de Bruxelles, l’endroit où il fallait être en ce 11 novembre aux couleurs d’armistice et de fraîcheur automnale.
L’avantage d’un jour férié est que l’on peut se déplacer rapidement et trouver des places où on veut. Premier dans le Botanique, je suis le premier devant la porte de l’Orangerie et premier au bord de scène. La foule est encore modeste quand arrive le groupe de première partie, un duo belge francophone appelé les Apaches qui donne sans scrupules dans le garage gras et bluesy à la façon des White Stripes, Black Keys et autres Black Box Revelation. En parlant des Black Keys, on peut dire que, niveau look, les Apaches sont le contrepied absolu du combo de l’Ohio : c’est un grand échalas qui tient la guitare et un petit barbudo qui s’occupe de la batterie et du chant, le genre Jess Hughes (Eagles Of Death Metal) avant ses 300 séances de tatoueur. Mais pour le reste, on est dans une pure liturgie Black Keys lorsqu’on entend résonner la dizaine de chansons que les deux gusses placent en une demi-heure. Tout sympathiques et compétents qu’ils soient, ces Apaches ne font que perpétuer un style né sans leur aide et se situent dans la masse des suiveurs, amusants mais sans plus. Il faut dire que la formule du duo révèle rapidement ses limites et il est très difficile de faire son trou sous cette formule, à moins d’être plus technique (Black Box Revelation), plus hargneux (The Kills) ou plus fou (Om) que les autres. De plus, la multiplication des duos guitare-batterie est un véritable danger pour l’industrie de la basse. Mais qu’avez-vous donc dans le crâne? Vous voulez faire fermer les usines Rickenbacker? Vous n’aimez pas les bassistes? Parce qu’ils sont grands, portent les cheveux longs et affichent des dégaines nonchalantes? Mais que vous ont donc fait ces grands mous? Entwistle, Lynott, revenez sur Terre, ils sont devenus fous!
Lorsque Hanni El Khatib et ses sbires investissent la scène à 21 heures, la foule a doublé en nombre. Quelques spectateurs viennent poser leur blouson sur le bord de scène car ils pressentent que la sueur va rapidement s’inviter dans la salle. Ils n’ont pas tort, les bougres, car le palestino-philippin va vite imposer un rythme de trot qui saura pousser jusqu’au galop dans les moments fatidiques. Les bombes à retardement sont posées dès le début, sur ʺHead in the dirtʺ et ʺNobody moveʺ, extraits du nouvel album. Les goupilles sont retirées à partir de ʺBuild destroy rebuildʺ. Le grand claviériste Hayden Tobin a laissé tomber les sages claviers pour une Gibson SG blanche lâchant des salves de notes ondulantes et percutantes. Le batteur Ron Marinelli a retiré ses lunettes de prof de philo idiot pour mieux se consacrer au massacre de ses fûts. Et le bassiste Adrian Rodriguez, au faciès pourtant très irlandais, tient son instrument bien collé sur la poitrine, façon groupes r ‘n’ b anglais des Sixties, et y plaque des accords feutrés et martiaux.
Le public commence à se lâcher doucement à partir de la reprise du ʺHuman flyʺ des Cramps, pourtant bien sénatoriale par rapport à la frénésie de l’original. Mais quelques bluettes pop issues de ʺHead in the dirtʺ viennent calmer les ardeurs et permettent au groupe de se refaire une santé. ʺTrès chaudʺ, prononce Hanni El Khatib en français. Il doit sans doute se familiariser peu à peu avec la langue de Descartes grâce à ses passages de plus en plus répétés dans l’Hexagone, où il est reçu à bras ouverts depuis ses débuts. Le bon Hanni va pouvoir ajouter le public belge à son tableau de chasse car la deuxième moitié du show (chaud?) fait enfin péter les bombes à retardement posées en début de prestation. Sur ʺSkinny little girlʺ, un grand dégingandé barbu à chemise à carreaux vient s’affaler sur la scène. Il se reprend en exécutant quelques danses exotiques avant de terminer en slam sur les mains du public. On le reverra régulièrement au cours du show, poursuivi par quelques agents de sécurité bouffis qui ont du mal à comprendre ce qui se passe.
Le signal est lancé et c’est parti pour le déchaînement de la foule qui s’ébroue en pogos rigolards et en hurlements d’adoration. Le bel Hanni vient calciner sa guitare au bord de la scène, ce qui permet aux blondes délurées de venir le toucher furtivement. Je fais donc partie de cette catégorie de blondes délurées car j’ai touché Hanni El Khatib. Mais j’ai une excuse : il s’est jeté sur moi, Monsieur le Commissaire. Néanmoins, Hanni El Khatib a beau s’adresser de temps à autre au public, il reste toujours concentré sur son instrument, presque timide. Le mélange entre le Palestinien et le Philippin ne donne pas seulement du bel Espagnol, il donne aussi du Finlandais. L’homme a une certaine peur de se lâcher complètement. Est-ce que c’est parce qu’il a déjà dépassé la trentaine et que le genre plaisanterie rock ‘n’ roll scénique aurait dû être acquis dès l’adolescence, façon réflexe? On ne sait pas. Cela ne l’empêche pas néanmoins de finir le public du Botanique sous un déluge de décibels fulgurants qui s’illustrent sur les excellents et déjà classiques ʺFuck it, you winʺ et ʺFamilyʺ. Il a donc fallu une quinzaine de titres pour arriver au grand pif-paf, à l’acmé juvénile, au paroxysme sismique, alors que certains autres groupes vous auraient refait Hiroshima au bout de trois morceaux. Chacun son rythme, mais il est bon de noter qu’Hanni El Khatib a réussi l’attentat, même s’il a fallu gaspiller quelques bâtons de dynamite.
La foule dégoulinante de sueur est achevée sur un petit rappel sympathique, qui voit Hanni El Khatib se présenter sur scène seul et entamer un ʺHouse on fireʺ faussement frileux qui développe toute sa puissance lorsque ses camarades réinvestissent leurs instruments. Le demi-millier d’adorateurs termine sa consomption sur place et il faut bien retourner dans la réalité lorsque ce sympathique typhon et cet agréable massacre a pris fin. Tenons-nous le pour dit : Hanni El Khatib est un bon petit faiseur mais sa puissance évocatrice au niveau de la légende du rock ‘n’ roll reste celle, s’il fallait oser une comparaison cinématographique, d’un Terence Fisher par rapport à Joseph Mankiewicz. Du bon, du solide, mais on n’est pas dans le domaine des dieux.
Set list :Head in the dirt / Nobody move / Build destroy rebuild / Can’t win them all / Dead wrong / Human fly / Sinking in the sand / Penny / Skinny little girl / Low / Loved one / Pay no mind / Save me / You rascal you / Fuck it, you win / Family // Rappel : House on fire
Était-il nécessaire d’entacher la qualité de cet article en l’agrémentant de précisions à la limite de l’acceptable. Les commentaires qui suivent sont, d’après moi, totalement superflus. Quel est l’intérêt d’un tel foisonnements de détails sur la filiation et l’ethnicité? Un copieux étalage de stéréotypes et de lieux communs… Tout au plus une tentative maladroite motivée par le besoin de déterminer l’identité et l’univers de l’artiste? Vous disposez certes d’une belle plume, évitez donc ce genre de travers auxquels, le principal concerné lui-même ne souscrirait probablement pas.
« Hanni El Khatib est un peu dans cette situation. Le nom ne dit pas encore des choses à tout le monde mais ne soyez pas trompé par la consonance : Hanni El Khatib n’est ni un imam barbu ni un petit vendeur à la sauvette de tee-shirts ʺN… ta mèreʺ des ruelles de Barbès. C’est un musicien originaire de Los Angeles dont le père est palestinien et la mère philippine. Ces deux êtres fuyant sans doute leurs catastrophes naturelles respectives par le refuge en Amérique ont donné au monde un être qui ne ressemble ni à un Arabe, ni à un Asiatique mais ferait plutôt un bel Espagnol, le genre matador sévillan ou coiffeur pour dames madrilène »