ROME – Parlez-vous hate ?
Revoici Rome avec un nouvel album, le 17e en seize ans d’existence. Notre site a déjà parlé de ce groupe luxembourgeois qui semble être gagné par un stakhanovisme discographique, à l’occasion de ses récents albums ʺLe ceneri di Heliodoroʺ (2019), ʺThe Dublin session (EP)ʺ (2020) et ʺThe lone furrowʺ (2020). Avec cette production intensive, le groupe mené depuis toujours par Jérôme Reuter atteint le club assez fermé des groupes qui ont au moins dix-sept albums studio au compteur. Et quand on se livre à quelques études statistiques, on voit qu’il n’est pas si évident que ça d’attendre dix-sept albums. À commencer par les deux plus grands groupes de rock de l’histoire, les Beatles et Led Zeppelin, qui n’ont de leur vivant atteint que les scores de treize et neuf albums. Même des monstres sacrés affichant plusieurs décennies d’existence n’ont pas toujours pu se payer ce score : U2 (14 albums), Pearl Jam (11 albums), les Ramones (14 albums), Radiohead (9 albums), les Red Hot Chili Peppers (11 albums), ZZ Top (15 albums), Iron Maiden (16 albums). Même Pink Floyd n’a que 15 albums studio à son palmarès. Et parmi ceux qui ont atteint ou dépassé ce chiffre, le 17e album n’a pas toujours été le plus inspiré : ʺBlack and blueʺ (Rolling Stones), ʺThe eternalʺ (Sonic Youth), ʺHumanity – Hour 1ʺ (Scorpions), ʺAprèsʺ (Iggy Pop), ʺRaise your fist and yellʺ (Alice Cooper), ʺRedeemer of soulsʺ (Judas Priest), ʺNever let me downʺ (David Bowie), ʺCross purposesʺ (Black Sabbath), ʺMagnificationʺ (Yes), ʺHammeredʺ (Motörhead).
Tout cela pour dire que le 17e album d’une carrière, quand on y arrive, n’est pas toujours le plus aisé à écrire. Les artistes qui atteignent ce niveau sont souvent dans une routine qui les éloigne de la remise en question. Mais certains artistes ont réussi ce 17e disque (Lou Reed, Frank Zappa, AC/DC, Bob Dylan, Paul McCartney) et on peut ajouter ici Rome, étonnant groupe qui tient encore du groupuscule mais qui mérite sans cesse qu’on en fasse l’apologie, tant cette inspiration et cette énergie à produire semble inextinguible.
Jérôme Reuter avait commis un grand album de folk sombre, également classé martial industrial, avec ʺThe lone furrowʺ. Il revient à peine cinq moins plus tard avec une équipe qu’il n’a pas changé (Eric Becker, guitare ; Tom Gatti, basse et claviers ; Patrick Kleinbauer et Tom Luciani, chœurs), ajoutant simplement Laurent Fuchs à la batterie et aux percussions. Par rapport à son prédécesseur, ce nouveau ʺParlez-vous hate ?ʺ se veut à la fois un continuateur de certaines ambiances mais aussi un disque plus léger et moins angoissant, bien qu’il n’est pas ici question de franche rigolade. Mais le ton général de l’album, axé sur des guitares acoustiques, est plus tourné vers un folk rock qui questionne son monde que vers des compositions à grand spectacle comme on pouvait en trouver dans ʺThe lone furrowʺ.
On reste cependant toujours sous le charme tourmenté de la musique de Rome, qui distille encore une fois des chansons intenses et envoutantes, comme la ballade triste de ʺDer Adler trägt kein Liedʺ, le rythme mélancolique d’ʺAlésiaʺ, les ambiances tribales et quelque peu rammsteiniennes de ʺPanzerschokoladeʺ. On peut aussi esquisser un sourire amusé devant le traitement un rien cynique donné à ʺBorn in the EUʺ, qui est un clin d’œil évident au ʺBorn in the USAʺ de Bruce Springsteen et qui semble poser la question de la pertinence de l’Europe de nos jours. Qu’est-ce qu’être européen au 21e siècle ? Est-ce une chance, une malchance, un truc qui n’a aucune incidence sur rien, dans notre époque où les valeurs occidentales semblent constamment menacées ? Ce constat pessimiste surgit à intervalles réguliers, dans des chansons comme ʺParlez-vous hate ?ʺ, justement, où on peut entendre des textes comme ʺNo, we don’t need to answer for the damage that we cause and we will turn to ashes all that ever wasʺ. Ou encore dans ʺDeath from aboveʺ, ʺToll in the great deathʺ, ʺBlood for allʺ, qui conjurent une violence rampante sur le ton de la dénonciation mais qui ne semblent pas lancer des messages d’espoir pour autant.
Les 41 minutes de ce disque passent sans qu’on s’en rende compte, Jérôme Reuter ayant réussi à nous intégrer complétement dans son univers musical, dense et intense. Si cet album diffère de ʺThe lone furrowʺ, il occupe toutefois le même espace créatif, celui d’un auteur qui sait transcender sa grande sensibilité dans des chansons fortes et solides, prêtes à affronter calmement les tourmentes de toutes sortes.
Le groupe :
Jérôme Reuter (chant, guitare)
Eric Becker (guitare)
Tom Gatti (basse et claviers)
Patrick Kleinbauer (chœurs)
Tom Luciani (chœurs)
Laurent Fuchs (batterie et percussions)
L’album :
ʺShangri-Faʺ (0:22)
ʺParlez-vous hate?ʺ (3:30)
ʺBorn in the E.U.ʺ (3:38)
ʺDeath from Aboveʺ (3:18)
ʺPanzerschokoladeʺ (4:03)
ʺDer Adler trägt kein Liedʺ (3:57)
ʺToll in the Great Deathʺ (3:10)
ʺFeral Agentsʺ (4:06)
ʺYou Owe Me a Whole Worldʺ (3:19)
ʺBlood for Allʺ (3:35)
ʺAlesiaʺ (3:41)
ʺFort Nera, Eumesvilleʺ (4:45)
https://www.facebook.com/romeproject
Pays: LU
Trisol Music
Sortie: 2021/01/29