EL YUNQUE – Hi ho mark
Ne vous fiez pas au nom hispanique, El Yunque n’est pas un groupe mexicain, espagnol ou portoricain (comme le nom de la forêt El Yunque qui occupe une partie de cette île semble le suggérer), mais c’est un groupe on ne peut plus belge. Formé à Hasselt, ce combo est composé de musiciens facétieux qui aiment à se donner des surnoms incompréhensibles. Ainsi, Giel Cromphout (guitare et chant) est aussi appelé Gaarsk Crxtenyiop, Kasper De Sutter (guitare et chant) vous répondra si vous l’appelez Kcurxedkx CeCduwlwp, Jules Jordens (batterie et chant), a choisi le sobriquet de Jxplne Jduxrnke et Mattias Jonniaux (batterie) est aussi connu sous le nom de Mephecunlephef. On l’aura compris, nous avons affaire ici à un gang de tourmentés, d’imaginatifs débordants et de fabricants de sonorités décalées.
El Yunque donne effectivement volontiers dans un post-rock trouble, un noise-rock alambiqué et un post-punk obsédé. Le groupe a déjà commis plusieurs méfaits sonores, comme l’EP « E.Y. » (2014), un premier album « Baskenland » (2016), un deuxième album « Boxes » (2017) avant de venir chatouiller à nouveau les doigts de pied de la société bien-pensante avec ce troisième effort « Hi ho mark ». L’évolution musicale du groupe est palpable au cours de cette série d’albums. Au temps du premier EP, El Yunque s’abîme dans une puissante démonstration noise, avec guitares distordues, rythmique épaisse et hurlements de damné, un truc pas éloigné du Dillinger Escape Plan (« Kabelsdraad »). Même limonade sur le premier album, avec certains titres de l’EP revus et corrigés (« Reine reprise », « Kabelsdraad », passé de 11 à 19 minutes). Cependant, on sent une atténuation de la violence sur certains titres, qui font déjà la transition vers les disques à venir (« Noztechtransch », « Natwoord », « Druimte »). Les choses se compliquent tout en s’affinant sur « Boxes », qui arrive à exprimer le drame sombre habitant les gens d’El Yunque avec d’autres moyens (« Scottie Pippen », « Tired of dressing like a girl », « Deer », « Cinder », « Michael Jordan », « Dog park »).
« Hi ho mark » constitue encore une étape supplémentaire dans le parcours musical d’El Yunque, qui devient au fil du temps de plus en plus expérimental. Le groupe explore ici des arcanes plus complexes, confinant au art rock ou à la dark wave (« Siri, please »). Les paroles volontiers dérisoires ne cachent pas un certain humour pince-sans-rire. Il règne dans cet album un aspect un peu décousu, tant la diversité des ambiances pesant sur les titres désarçonne quelque peu l’auditeur dans ses premières écoutes. La mélancolie (« Sword beach ») le dispute à l’angoisse (« Earily ») et ces confrontations sont parfois tranchées par l’absurde (« De milo » et sa fin dialoguée assez marrante). El Yunque se paie aussi le luxe d’un morceau de new wave rappé (ou de rap new wave, comme on veut) d’une neurasthénie invincible, se terminant dans d’épaisses nuées électroniques d’où rien ne semble pouvoir revenir. Le dernier morceau « Hi ho mark » résume l’ambiance décadente et désabusée de cet album avec des crissements noise rock soutenant des litanies parlées d’un chanteur devenu fou.
Pas forcément très facile d’accès au premier abord, ce nouvel album d’El Yunque doit être envisagé à la lumière des disques précédents du groupe. On y distingue une évolution nette qui laisse à penser qu’El Yunque est un des groupes très imaginatifs de la scène post-rock belge. A suivre, donc.
Pays: BE
Sentimental Records
Sortie: 2018/10/12