WALTER, Robert – Super Heavy Organ
Au premier abord, la question du choix de l’orgue Hammond peut étonner, tant cet instrument véhicule une image ancienne, parfois même dépassée et passéiste. Pourtant, bizarrement, plus le temps passe, plus le charme désuet de ses sonorités s’affirme et s’accentue. Cela se comprend aisément tant la chaleur et les couleurs inimitables dégagées par « ce vieux truc » accrochent.
En plus, le « Jazz-Funk-Rock » rafraîchissant dans lequel évolue Robert Walter et sa bande réussit aisément la conquête des oreilles délicates. La rythmique est dynamique grâce d’abord à une basse puissante, claquante et vigoureuse et grâce ensuite à une batterie rapide, effrénée, sèche et virevoltante. Ce soutien efficace et solide permet de flamboyantes interventions aux claviers et au saxophone. Le genre, l’interprétation et l’esprit général de ce groupe et de ses musiciens rappellent le groupe Lettuce et son excellent album « Outta Here », commenté récemment sur ce site ; la réserve se situant au niveau d’une modernité plus grande chez Lettuce.
Originaire de San Diego (Californie), les pôles d’intérêts de Robert Walter sont toujours restés principalement orientés vers le « Funk-Jazz ». En 1993, il fait partie des membres fondateurs du groupe Greyboy All-Stars et enregistre en 1997 son premier album solo, « Spirit of 70 », qui comprend le saxophoniste Gary Bartz.
Voici les titres de ce qui constitue son cinquième album solo (63’14) :
- « Adelita » (5’27)
- « Kickin’ Up Dust » (3’14)
- « Spell » (2’34)
- « El Cuervo » (7’29)
- « Criminals Have a Name for It » (5’11)
- « 34 Small » (7’15)
- « Don’t Hate, Congratulate » (3’38)
- « Poor Tom » (Jimmy Page/Robert Plant) (2’56)
- « (Smells Like) Dad’s Drunk Again » (6’05)
- « Big Dummy » (4’57)
- « Hardware » (5’01)
- « Cabrillo » (9’02)
Toutes les plages sont composées par Robert Walter, la huitième exceptée.
Voici leurs interprètes :
- Robert Walter : Claviers & Percussions
- Tim Green : Saxophone Ténor
- James Singleton : Basse
- Stanton Moore : Batterie & Percussions (1, 2, 3, 8, 10)
- Johnny Vidacovitch : Batterie & Cymbales (4, 5, 6, 7, 9, 11, 12)
- Anthony Farrell : Vocaux (3, 5, 7)
Tous ses musiciens chevronnés sont réputés dans leur « milieu ».
Les deux batteurs, qui ne font que se relayer ici, se connaissent pourtant fort bien, et ont joué ensemble sur d’autres projets. Ils ont également chacun enregistré en solo. J’ai personnellement découvert Johnny Vidacovitch avec John Scofield. Il a aussi collaboré avec Professor Longhair, Willy DeVille, Charles Neville, Astral Project (avec James Singelton). On peut retrouver Stanton Moore avec, parmi d’autres, Galactic et Rachid Taha.
James Singleton et Tim Green ont gravité, tous les deux, dans les divers projets des frères Neville et beaucoup dans le monde du « Jazz ». Le premier a travaillé également avec Dr. John, Zachary Richard et James Booker ; et le second avec Peter Gabriel.
Immédiatement, « Adelita » donne le ton avec une présence très marquée de l’orgue Hammond, souvent en duo avec le saxophone, dont les envolées en solo foutent le frisson. La richesse et la diversité du jeu de Stanton Moore frappe directement. En effet, il soutient et tire impeccablement la mécanique en filant dans tous les sens ; exactement le même genre de batteur pétillant que Adam Deitch dans Lettuce : un vrai délice. « Kickin’ Up Dust » poursuit le même filon.
« Spell », plus lent et saccadé, voit l’apparition, en appui, des vocaux de Anthony Farrell et la basse se fait plus marquée.
Tout dans « El Cuervo » respire le « Jazz ». Le saxophone de Tim Green, très présent, accentue la sensation, tout comme Robert Walter, qui rappelle souvent Brian Auger, à la fin des années 60, dans le style, mais aussi le sous-estimé Brian Auger’s Oblivion Express, dans le fond. La basse claque parfaitement et, aux percussions, Johnny Vidacovitch apparaît dans un jeu tout aussi inspiré et dynamique que Stanton Moore, bien que moins rapide peut-être, mais plus aéré et utilisant beaucoup les cymbales.
Changement d’ambiance avec « Criminals Have a Name for It » où d’autres types de claviers interviennent en plus de l’Hammond. Robert Walter fait, quasiment seul, un tout gros boulot sur cette composition bien fichue, aux marches de l’ensemble.
« 34 Small », à nouveau très spécifiquement « Jazz », reprend un cheminement identique à celui de « El Cuervo ». Johnny Vidacovitch apparaît à la batterie comme l’élément plus spécifiquement « Jazz », alors que Stanton Moore en est plutôt la face « Funky ».
« Don’t Hate, Congratulate », autant par sa construction que par ses sonorités d’orgues, rappellent fortement la fin des années 1960. Le duo rythmique est bien entraînant et les courts effets vocaux surprennent.
« Poor Tom », du duo Page/Plant, se retrouve à l’origine sur l’album de raretés et d’inédits de Led Zeppelin, « Coda », publié en 1982 après la mort de John Bonham. Cette version s’avère agréable, sans plus.
« (Smells Like) Dad’s Drunk Again » régale par son mélange de genres et d’atmosphères. De percutantes petites touches à l’orgue sur de splendides envolées de saxophone, de lumineux solos d’orgue, des percussions éclectiques à souhait, une basse bien carrée, une rythmique « locomotive » caractérisent cette perle.
Après ce titre, l’excellent « Big Dummy » en devient presque banal et pourtant il se situe dans l’exacte continuité de ce qui précède.
Avec « Hardware » et son tempo ralenti, le vent de la fin des années 60 souffle à plein. La basse y est dure, écrasante ; la batterie métronomique et l’orgue très appuyé, même dans son long solo pesant. Terriblement efficace !
Une fin épique avec la superbe composition « Cabrillo », kilométrique, qui confirme cette alternance constante entre colorations et atmosphères « Jazz » et « Jazz-Rock » plus typiques des années 60 et 70, « Funk-Jazz » des années 70 et 80 et une parfaite mixture de ses deux tendances dans quelque chose de plus neuf, directement concrétisé par les deux batteurs que l’on en finit pas de regretter de ne jamais voir jouer ensemble, tant ils sont éblouissants.
Un album délectable de bout en bout : bonnes compositions, interprétation impeccable nappées de solos ravageurs, saveurs presque oubliées accentuées par l’utilisation de l’orgue Hammond.
Pays: US
Magnatude Records MT-2309-2
Sortie: 2005/08/31