AIRRACE – Untold Stories
Ici, on voit ressurgir une minuscule étoile qui avait tenté de briller dans le ciel chargé du hard rock FM et mélodique des années 80 mais qui était rapidement retournée dans les trous noirs de l’oubli. Que se souvient en effet d’Airrace? Quelques grisonnants qui étaient ados en 1984 et qui ont pu choper sur les radios libres de l’époque quelques titres de ce groupe anglais pourront répondre par l’affirmative à cette question. Mais pour le reste, Airrace reste quand même une obscurité assez conséquente dans le souvenir du hard rock des Eighties. Il a été tellement bien oublié que même sa page Wikipédia ne propose même pas un texte anglais. Il n’y a que le français. C’est déjà pas mal car ça aurait pu être en birman ou en swahili, profitons de notre chance.
Formé en septembre 1982 à Londres autour de Laurie Mansworth (guitare), Phil Lewis (chant), Jim Reid (basse) et Simon Tomkins (batterie), Airrace fait ses débuts au fameux Marquee de Londres en février 1983. Dans la salle se trouve Peter Grant, entré dans l’Histoire pour avoir été le manager plutôt efficace de Led Zeppelin. Le bonhomme s’occupe de l’orphelin de John Bonham, défunt batteur du Zep, et se dit qu’Airrace serait un groupe intéressant pour faire débuter ce batteur prometteur de 17 ans qu’est Jason Bonham. Il est donc procédé au changement de batteur et Peter Grant s’occupe même de gérer le groupe, qui change aussi de chanteur (Keith Murrell remplace Phil Lewis, qui partira trouver fortune aux Etats-Unis dans les L.A. Guns) et s’enrichit d’un claviériste, Toby Sadler.
Airrace bénéficie d’un service cinq étoiles en provenance de Peter Grant, dont les réseaux d’influence et le carnet d’adresses sont extrêmement puissants. Voilà donc les Londoniens peu expérimentés envoyés à New York pour enregistrer leur premier album sous la férule d’une sommité de l’époque, Beau Hill (Alice Cooper, Gary Moore, Ratt, Winger, Kix, Europe). Airrace grave ?Shaft of light?, qui sort fin 1984 et qui est plutôt bon dans son genre, manipulant avec style un hard rock mélodique à synthés de très bon aloi. L’absence de promotion américaine du label Atco et des ventes peu élevées de cet album qui aurait mérité plus d’attention entraîne la séparation du groupe en 1986, après les départs de Jason Bonham et de Keith Murrell.
Et puis, logiquement, Airrace sombre dans l’oubli. Sauf que, 25 ans plus tard, le désormais vétéran Laurie Mansworth décide de remonter Airrace, sans doute confiant dans le fait que les 87 fans qui connaissent encore son groupe vont lui faire un triomphe avec des ventes massives d’albums et des tournées mondiales jusqu’en Mongolie intérieure. Après avoir retrouvé Keith Murrell et Toby Sadler, Mansworth recrute aussi les nouveaux venus Simon Dawson (batterie), David Boyce (basse) et Dean Howard (guitare) pour remonter Airrace et sortir l’album ?Back to the start? en 2011. L’inspiration hard rock FM est toujours la même, l’album se défend musicalement mais tout ce petit monde se sépare assez rapidement après la sortie du disque.
Ce n’est pas encore assez pour décourager l’entêté Laurie Mansworth qui rêve toujours de s’offrir un palace de 48 pièces à Los Angeles et un parc de deux ou trois Rolls-Royce avec les masses énormes d’argent gagnées grâce au succès planétaire d’un album de hard rock qui battrait le record des ventes de Led Zeppelin et des Beatles réunis. Et voici donc ?Untold stories?, troisième album d’Airrace en près de 35 ans. Laurie Mansworth est toujours de la partie et il s’est trouvé une équipe toute nouvelle, construite autour d’Adam Payne (chant), Rocky Newton (basse), Dhani Mansworth (batterie) et Linda Kelsey Foster (claviers). En fait d’équipe nouvelle, on découvre quand même que la grosse majorité des musiciens a sacrément blanchi sous le harnais. Seul le jeune Dhani Mansworth, le fils de son père, apporte un peu de jeunesse à un aréopage de vieux druides qui vont cependant très bien se défendre avec ce nouvel album frais et dynamique.
Car ce qui va nous épater ici, c’est la très bonne tenue des onze chansons qui composent cet album. On n’apprend pas des grimaces nouvelles à de de vieux bulldogs et il ne faut donc pas s’étonner d’être à nouveau propulsé en 1984 avec des guitares chamarrées, de la rythmique bien carrée, des gazouillis de synthétiseurs et des harmonies vocales qui donnent envie de gueuler dans les stades. Mais là où cet album surprend agréablement, c’est avec la vigueur spontanée et sincère des compos, bien conçues et clairement exprimées. Sur le premier titre ?Running out of time?, on voit arriver les grosses ficelles rock FM/AOR des années 80 : piano enjôleur, guitare satinées, grosse rythmique, claviers pompeux, vocaux defleppardiens taillés pour les supporters de foot anglais. Mais, au fil des convaincants ?Innocent? (dans une veine Rainbow période Joe Lynn Turner), ?Eyes like ice? (rappelant Dokken) et surtout des impeccables ?Different but the same?, ?New skin?, ?Love is love? ou ?Men from the boys? et leurs solos de guitares très bien habillés, on découvre un très bon album dans son genre. L’esprit des Eighties est respecté, on trouve toujours de petits aspects Rainbow, Deep Purple ou Bon Jovi mais Airrace est capable de trousser des refrains qui se mémorisent facilement. Et surtout, ces chansons sont servies par la voix magnifique d’Adam Payne, toujours bien placée en toutes circonstances. A l’entendre, on croirait avoir affaire à un grand Adonis blond mais on a en fait affaire à un petit rustaud brun. Comme quoi, il ne faut pas se fier aux apparences.
La fin de l’album reste tout aussi captivante que le début, avec ?Summer rain?, ?Come with us? ou ?Here it comes? et on se dit que si cette fois-ci, Airrace ne le fait pas, c’est vraiment parce qu’il est sous le coup d’une malédiction incurable. Il se pourrait cette fois que la maison Rolls-Royce reçoive une commande de la part de Laurie Mansworth. Enfin, on espère pour lui.
Pays: GB
Frontiers Music
Sortie: 2018/08/10