YUGEN – Yugen
Depuis plus d’un siècle, le jazz est en perpétuelle métamorphose, passant des cancaneries de trompette de la Nouvelle-Orléans à des choses incroyablement complexes, dès l’époque des années 60 (John Coltrane, Jerry Mulligan…). Avec l’influence du rock, le style a gagné quelques branches supplémentaires dans un arbre généalogique qui n’en finit pas de se densifier. Ici, avec les Norvégiens de Yugen, on arrive au stade ultime de la subtilité du jazz, avec la fusion entre musique concrète, sonorités orientales, folk scandinave et jazz expérimental. La subtilité est vraiment le mot qu’il faut puisque Y?gen, en japonais, désigne la beauté mystérieuse du monde, sa profondeur implicite que seuls les artistes peuvent suggérer subtilement.
Et ici, du subtil, du raffiné, de l’éthéré, on va en manger, pas par grandes cuillerées mais plutôt à la baguette, façon japonaise. Et ceci grâce à Y?gen, un duo en provenance d’Oslo et qui met en lice le jeune compositeur Håkon Aase et la saxophoniste Marthe Lea. Håkon Aase a joué du violon avec le groupe de Mathias Ecks et avec son collègue violoniste Adrian Løseth Waade dans le duo expérimental Jinchuuriki. Il joue également dans un groupe appelé Duetrost (avec Fredrik Karwowski et Knærten Simonsen). Sans oublier les collaborations diverses avec Thomas Stronen, Mette Henriette, le Sigurd Hole Trio, Anja Skybakmoen, Boda Boda…
Y?gen réalise ici un premier album, où Håkon Aase et Marthe Lea reçoivent en invité un autre musicien jazz très demandé en Norvège, Mats Eilertsen, à la basse. Les huit morceaux qui sont présentés ici vont en laisser plus d’un songeur sur la limite, ou plutôt l’absence de limites, que peut atteindre la musique expérimentale contemporaine. Les fans de boogie rock texan ou les amateurs de chansons de l’Eurovision vont pouvoir débarrasser le plancher pour laisser la place aux torturés de l’accord atonal, aux psychanalystes de la musique cosmique ou aux étudiants en sophrologie asymétrique. Y?gen a composé quatre titres originaux, repris trois morceaux de folklore traditionnel (« Rabaso », « Tarana » et « Refuge prayer », qui occupe l’auditeur pendant près d’un quart d’heure) et effectué une reprise d’un passage de György Ligeti (1923-2006), compositeur avant-gardiste hongrois qui aurait fait passer Pierre Boulez pour un pianiste de bordel louisianais. Marthe Lea place de temps à autre un chant dans un langage non-identifié (ce n’est pas du norvégien mais ça pourrait bien être du japonais) et l’interaction entre le violon et la contrebasse donne des effets éthérés, diaphanes, énoncés sur des rythmes extrêmement lents.
Vous voilà prévenus. Dans le genre très particulier qui est le sien, Y?gen déploie certains charmes mais il s’adresse à un public bien ciblé.
Pays: NO
Jazzland Records
Sortie: 2018/05/04