YOWIE – Synchromysticism
Les entomologistes du rock ne savent plus quoi inventer pour classifier les genres et sous-genres musicaux qui constituent cette ruche géante qu’est le rock. Par exemple, je n’avais jamais entendu parler du brutal prog, un style combiné à partir de rock progressif, d’avant-prog (pour le côté intellectuel), de punk hardcore (pour le dynamisme et la nervosité d’exécution des morceaux), de noise rock (pour le bordel qui règne sur les titres) et de free jazz (pour le côté complètement en roue libre). D’abord formaté dans les années 80 par un certain Weasel Walter et son groupe The Flying Luttenbachers, le genre a connu un adoubement, notamment par les œuvres du très influent groupe japonais Ruins, puis de formations comme Upsilon Acrux, Hella, Zs, Ahleuchatistas, Grand Ulena et enfin Yowie, dont nous allons parler ici à l’occasion d’un album qui nous arrive un peu tardivement mais qui va vite de révéler fondamental.
Yowie se forme à St. Louis (Missouri) en 2000, avec Jeremiah Wonsewitz (guitare), Jimbo « Moppy » (encore appelé « Lil’ Pumpkin ») à l’autre guitare et Shawn « The Defenestrator » O’Connor à la batterie (et accessoirement psychiatre en clinique). Le groupe signe sur le label Skin Graft Records (la boîte de Weasel Walter) en 2001, sort son premier album « Cryptooology » en 2004 et participe à une compilation « Sides 11-14 » inspirée par AC/DC en 2008. En 2012 sort « Damning with faint praise », deuxième album qui est aussi le dernier de Jimbo, remplacé par Christopher Trull (ex-Grand Ulena). Enfin, voici « Synchromysticism », troisième album de la formation, qui prend son temps pour sortir des disques.
Mais vu la complexité du contenu de ces albums, on peut comprendre pourquoi Yowie n’en est pas à un rythme de production stakhanoviste. Le style du groupe est pour ainsi dire hallucinant, tout instrumental, avec des morceaux dépassant souvent les six minutes, aux titres un peu barrés (« Ineffable dolphin communion », « Absurdly ineffective barricade », « The fourth wall will not protect you », suite logique du précédent, ou « The reason your house is haunted can be found on this microfiche », tout un programme…).
Le premier titre nous livre une avalanche de sons discordants et de rythmiques désynchronisées mais dont on s’aperçoit rapidement qu’ils sont rigoureusement agencés dans des structures rigides et mus par une énergie concentrée. La guitare saute allègrement d’accords stridents en riffs obsessionnels, talonnée par une basse élastique qui n’a rien à envier à Primus et une batterie qui fournit un travail de précision colossal. A la fois anarchique et réglée avec précision, la musique de Yowie reste difficile à classer. Math rock épileptique, entre du Dillinger Escape Plan intello et du Zu cérébral? Hardcore ayant franchi les sept portes de la sagesse? Jazz-rock extrême? On peut résumer tout ceci sous l’appellation brutal prog si on veut mais le fait est que Yowie demeure un des groupes les plus originaux des temps modernes.
On continue à se poser ces questions tout au long de l’album, dont les cinq titres tourbillonnent sur moins de 35 minutes, investissant l’esprit pour le propulser dans un circuit polyrythmique infernal et capricieux, où les plans rythmiques ne durent jamais plus de quelques secondes. Si cet album a des vertus thérapeutiques, ce serait sans doute pour soigner la neurasthénie à grands coups de pied dans le derrière parce que, l’air de rien, ça réveille. Parmi les trois albums de Yowie, ce « Synchromysticism » se place parmi les meilleurs, en tout cas au même niveau si ce n’est légèrement au-dessus de « Cryptooology ».
Si la curiosité vous pousse à faire un pas de plus dans l’expérimental étrange, dans le franchissement d’étapes d’où on ne peut plus revenir en arrière, Yowie devrait vous captiver, vous capturer et vous faire oublier la mollesse et la médiocrité de nombreux pans de la musique de notre époque. Mais attention, il n’est pas question ici d’écoute anodine. Il y a lieu de se livrer à une nécessaire préparation psychologique, voire mystique…
Pays: US
Skin Graft Records
Sortie: 2017/04/21