ROGERS, Chris – Voyage Home (1)
En écoutant Chris Rogers sur son dernier album « Voyage home », je me suis demandé où il pouvait bien se situer dans la hiérarchie des meilleurs trompettistes jazz. Un site chopé au hasard et parlant des cent meilleurs trompettistes de tous les temps ne retient malheureusement pas son nom, ce qui est une injustice qu’il va falloir effacer. Chris Rogers aligne en effet un pedigree tout à fait impressionnant. D’abord, avec son début de carrière : à 19 ans, il était déjà dans le combo de Gerry Mulligan, il y a pire comme début. Ensuite, avec tous les artistes avec qui il a tourné ou enregistré. Matez un peu le bilan : The Mingus Big-Band, Chaka Khan, Buddy Rich, Bob Moses, Toshiko Akiyoshi, Eddie Palmieri, The Vanguard Jazz Orchestra, Hilton Ruiz, Frank Sinatra, Mel Lewis, Machito, Mel Torme, Lee Konitz, Tom Harrell, Ray Barretto, Eartha Kitt, Richie Beirach, Arturo O’Farrill, George Russell, Maria Schneider, Mike Longo, Gary Morgan, Danny Seraphine, Aimee Mann, Lionel Hampton, Mercer Ellington, Horacio « El Negro » Hernandez, Tonya Pinkins, Charlie Palmieri, Orlando Marin, The Gil Evans Jazz Orchestra, Oscar De Leon, Pete McGuinness Jazz Orchestra, The Hitmen, Mongo Santamaria.
Bref, on a affaire ici à un seigneur du piston. Et si Chris Rogers ne figure pas parmi les cent meilleurs trompettistes jazz de tous les temps, c’est peut-être parce qu’il était un peu trop discret puisqu’il ne s’était pas encore lancé dans une carrière solo digne de ce nom. Cette lacune est comblée avec son premier album « Voyage home », qui le voit évoluer ici avec quelques acolytes pas piqués des hannetons. Steve Khan (guitare) a joué avec une foule d’artistes impressionnants, comme Larry Coryell, Billy Cobham, Billy Joel, Aretha Franklin, Steely Dan, Lou Rawls, John Sebastian, Esther Phillips et j’en passe. Ted Nash est un saxophoniste, fils et neveu de saxophoniste, ayant à son actif une vingtaine d’albums et des collaborations avec, entre autres, Wynton Marsalis, Louie Bellson, Ben Allison, Wycliffe Gordon, Don Ellis ou Jimmy Heath. Xavier Davis est un pianiste qui a aussi un CV long comme le bras, membre du New Jazz Composers Octet ou du Christian McBride Big Band, crédité d’une foule de collaborations sur des albums de Wynton Marsalis, Tom Harrell, Regina Carter ou Tom Byron pour n’en citer que très peu. Jay Anderson est un contrebassiste californien qui a fait ses débuts chez Woody Herman et a fréquenté les mêmes studios que Frank Zappa, Michel Legrand, Dr John, Tom Waits, Toots Thielemans ou Michael Brecker. Steve Johns, batteur, avait le légendaire saxophoniste Jimmy Tyler comme oncle et a été formé par Vic Firth (vous savez, le mec qui a son nom sur la plupart des baguettes de batterie) et chatouille les fûts depuis une trentaine d’années à peu près partout où il y a un artiste de jazz qui traîne (Count Basie, Jessye Norman, Helen Merrill, Diane Schuur, Dakota Staton, Thomas Chapin Trio, Sonny Fortune, Benny Carter, Dr. Billy Taylor, Wynton Marsalis, Nancy Wilson, Milt Jackson, Randy Brecker).
Et en parlant de Randy Brecker, on citera le dernier participant à cet album, le saxophoniste Michael Brecker, frère du précédent. Mais, vont dire les spécialistes, Michael Brecker est mort et enterré depuis dix ans. Comment se fait-il qu’il joue sur un disque sorti cette année? Tout simplement parce que Chris Rogers a enregistré cet album il y a plus de quinze ans mais ne l’avait jamais sorti. Michael Brecker participe à deux morceaux (« Counter change » et « Whit’s end »), qui rappellent combien ce musicien était talentueux.
Il ne reste plus qu’à apprécier les performances trompettistes, pianistiques, saxophonistes et contrebassistes qui parcourent les neuf morceaux de cet album. Entre Miles Davis, Dizzy Gillespie et Chet Baker, Chris Thomas virevolte à la trompette, soutenu par une section rythmique fluide et gracieuse. Les morceaux de huit minutes et plus constituent la vase majorité de cet ensemble impeccablement produit, à l’arithmétique jazz soigneusement calibrée et aux sonorités soyeuses. Classique, mais ça fait toujours son petit effet.
Espérons donc que Chris Rogers montera davantage en puissance avec une carrière solo qu’on espère florissante (avec plus qu’un album inédit tous les quinze ans), afin d’atteindre enfin les degrés qui mènent à ce fameux panthéon des cent meilleurs trompettistes jazz du monde.
Pays: US
Art Of Life Records
Sortie: 2017/02/03