PRISONER (The) – Life of the mind
Lorsque j’entends parler de prisonnier, je ne peux m’empêcher de penser à la mythique série du « Prisonnier » qui a bercé mon enfance. Elle racontait l’histoire d’un ex-agent secret anglais qui se retrouvait coincé dans un village de pacotille où on essayait de le faire parler et d’où il ne pouvait jamais s’échapper. Avec The Prisoner, groupe parisien de métal extrême, on est un peu dans la même configuration. L’obsession de ce groupe porte sur l’histoire d’un amnésique prisonnier de son propre esprit, d’où il ne peut jamais sortir.
Ce combo, peu bavard sur ses origines et ses réalisations, a déjà abordé ce thème sur un premier EP sorti en 2012. « The silence and nothing » portait déjà en lui les éléments fondamentaux de The Prisoner : un post-black metal d’une insondable tristesse et une capacité à construire des ambiances désespérantes propres à faire se suicider n’importe quel bourreau nord-coréen.
Avec la suite des aventures mentales de l’amnésique au pays du néant, The Prisoner revient plus glacial et plus morne que jamais. Plus puissant et plus subtil aussi, ce deuxième opus se voulant moins black metal et plus élaboré, distillant des assauts incroyablement sauvages tout en entretenant une atmosphère lourde et monacale.
Et ici, The Prisoner frappe fort avec plus d’une heure de musique du malheur, engluée dans les boues insondables du sludge mais également hachée par des matraquages de batterie hyper-speedée. Le chant semble provenir de la plainte d’un troll frappé à mort et qui agonise en hurlant toute sa rage. Il ne faut pas se fier aux premières minutes de « Awake » qui déploie sur près de sept minutes une longue introduction de guitares ralenties et cérémonieuses. Les choses ne vont pas tarder à changer radicalement avec l’irruption du chant horrifié et de rythmiques épileptiques. Au départ, on ne se sent pas trop capté par les propos du groupe, qui passe deux titres à formuler un post-black encore relativement conventionnel. Mais l’album commence à monter en puissance avec le troisième titre « Battling ego », qui explose de rage et de mélancolie sur plus de neuf minutes.
Après, la séduction a opéré et l’auditeur de retrouve enfermé dans un écrin sonore riveté, plongeant avec le héros de l’album dans des abîmes de vide insondable. The Prisoner commet l’exploit de définir par la musique ce qu’est exactement la neurasthénie et l’incommunicabilité avec l’extérieur. Tirer toute sa richesse de l’exploitation du vide, voilà une formule qui devrait inspirer bon nombre de groupes qui font habituellement le contraire. The Prisoner fait défiler dans nos esprits de cohortes d’êtres misérables engoncés dans des camisoles, des régiments d’araignées tuberculeuses colonisant les cercueils pourrissants des indigents, des légions de démons faméliques tourmentant les cerveaux malades des psychopathes enfermés dans des cellules moisies. De quoi faire passer Kierkegaard et Baudelaire pour les impresarios de Frank Dubosc.
La descente aux enfers continue avec « O vengeance » et le tétanisant « Life of the mind » qui convoque le souvenir de groupes comme Emperor ou Immortal. Pour le côté plus gluant, on pense à Gojira (« From the void to the void » et surtout le phénoménal final « And so be it » qui franchit le cap des 13 minutes pour un résultat impressionnant).
The Prisoner démontre encore une fois l’équation que ce sont les groupes qui font le moins parler d’eux qui ont le plus à dire. Dans son coin, résolument, il tisse un pan captivant du post black metal, et tout cela sans se vanter. Mais avec ce qu’il est capable de faire ici, le groupe ne pourra plus être ignoré bien longtemps.
Pays: FR
Autoproduction
Sortie: 2016/12/09