WRIGHT, Gary & WONDERWHEEL – Ring of changes
Il faudrait attribuer au label Esoteric Recordings le prix Nobel d’archéologie musicale car le trésor perdu qu’il a remonté ici à la surface de la terre avec cet album oublié de Gary Wright est une pure merveille, non seulement sur le plan musical mais également sur le plan historique.
Pour les distraits ou les ignorants, rappelons que Gary Wright s’est fait un nom dans l’histoire du rock et du hard rock des années 70 en devenant l’animateur de Spooky Tooth, groupe anglais culte de la fin des années 60 et de la première moitié des années 70. On lui doit aussi une carrière solo qui va décoller vers le succès à partir de 1975, quand Gary Wright sera retourné dans son Amérique natale.
Mais à la fin des années 60, 1967 exactement, Gary Wright est un étudiant en psychologie de 24 ans qui arrive à Berlin pour parfaire sa formation universitaire. Le démon de la musique prend rapidement le pas sur les œuvres de Freud et de Jung et Gary Wright se retrouve à tourner en Europe avec The New York Tymes, un groupe qu’il a fondé en amenant quelques collègues américains en Europe. C’est au cours d’un concert en première partie de Traffic à Oslo que Gary Wright se fait repérer par Chris Blackwell, patron du label Island, qui l’embarque en Angleterre et lui trouve un emploi de claviériste dans un petit groupe dont il attend beaucoup, Art.
Le groupe Art est aussi composé d’anciens musiciens des V.I.P’s, combo R ‘n’ B du nord anglais ayant eu une existence modeste en pleine période du Swinging London. On y trouve Mike Harrison au chant, Greg Ridley à la basse, Luther Grosvernor à la guitare et Mike Kellie à la batterie. Avec Gary Wright, Art enregistre « Supernatural fairy tales », un album de rock psychédélique qui va acquérir au fil des années une certaine réputation. Mettez la main dessus, c’est effectivement du très bon. Mais en cette fin de 1967, Art ne perce pas dans les charts et ses musiciens décident de repenser leur style et de se trouver un nouveau nom. Gary Wright est à l’origine du nom de Spooky Tooth et conçoit avec ses collègues deux premiers albums : « It’s all about » (1968) et « Spooky two » (1969), qui contient la célèbre chanson « Better by you, better than me », reprise quelques années plus tard par Judas Priest.
Ces deux albums sont des classiques du heavy rock progressif mais le troisième album « Ceremony« se veut une expérience de musique concrète élaborée avec le compositeur avant-gardiste français Pierre Henry. Personne n’y comprend rien et Spooky Tooth entre en crise, ce qui aboutit au départ de Gary Wright début 1970. Wright commence alors une carrière solo, signe chez A&M et sort les albums « Extraction » (1970) et « Footprint » (1971). Ces deux disques ne percent pas, malgré la présence ô combien notable de l’ex-Beatle George Harrison sur le second album. Harrison et Wright sont devenus potes au cours de l’enregistrement de l’album « All things must pass », chef-d’œuvre harrisonien sorti fin 1970. A partir de ce moment, Gary Wright fera systématiquement partie de l’équipe de studio accompagnant George Harrison sur ses albums suivants.
George Harrison rend la pareille à Gary Wright en participant au projet suivant du claviériste américain, un groupe du nom de Wonderwheel composé de Mick Jones (guitare, ancien directeur musical de Johnny Hallyday et futur fondateur du légendaire groupe Foreigner), Tommy Duffy (basse, du groupe Lindisfarne) et Bryson Graham (batterie). Le groupe se trouve une ferme dans le Devon pour composer les chansons de ce qui devait s’appeler « Ring of changes ». George Harrison participe à la chanson « Goodbye Sunday ».
Avec la présence d’un ex-Beatles sur un album, la garantie de publier cet album et de connaître un certain succès commercial est de 100%. Eh bien, cette règle quasi-mathématique va tout simplement se retrouver infirmée avec la décision du label A&M de ne pas sortir « Ring of changes ». On nage ici en pleine farce ubuesque ou en suicide commercial, c’est selon. A&M n’accepte que de sortir un single « I know/Somebody » en guise de compensation.
Pourtant, on ne peut pas dire qu’A&M aurait pu se reposer sur la mauvaise qualité de la musique de cet album pour refuser de le sortir, bien au contraire. Gary Wright a ici composé un disque excellent en termes de cohabitation entre un rock lourd progressif typique de Spooky Tooth (« Lovetaker », « Set on you », le formidable « Workin’ on a river ») et des mélodies plus feutrées (« Wild bird », « Ring of changes », « For a woman », « Creation »). Un rock bon enfant donne également envie de marquer le rythme du pied sur « Something for us all » et « Goodbye Sunday ». Tout ceci était de très bon aloi mais terminera dans un tiroir au fond des archives d’A&M.
Il faudra attendre 44 ans pour voir enfin surgir l’album « Ring of changes » sur les rayonnages des magasins de disques. Gary Wright en est encore tout ému, comme il l’explique dans le livret qui accompagne la réédition faite par Esoteric Recordings. Parfait comme toujours, le label a aussi ajouté en bonus les deux morceaux du single de 1972, ainsi qu’un titre inédit (« What can we do »).
Après cette malheureuse expérience, Gary Wright va tout d’abord réintégrer les rangs de Spooky Tooth, où il amène ses musiciens Mick Jones et Bryson Graham. Le chanteur Mike Harrison est encore présent sur les modestes « Witness » et « You broke my heart but I busted your jaws » (1973) puis est remplacé par le grandiose et regretté Mike Patto sur « The mirror » (1974), œuvre finale très recommandable pour le Spooky Tooth des années 70. Wright retourne ensuite aux USA où il rencontre enfin le succès commercial avec son album « The dream weaver » en 1975. Aujourd’hui, ce sympathique et talentueux septuagénaire est toujours actif et a sorti son dernier album solo « Connected » en 2010.
Pays: GB
Esoteric Recordings ECLEC 2555
Sortie: 2016/07/29 (réédition, original 1972)