MELVINS – Basses loaded
Celui qui réussira à classer les Melvins dans un genre bien particulier afin de rassurer la science bourgeoise toujours en quête de classifications réductrices n’est pas encore né. Ce groupe de Seattle était là ben avant Nirvana et sévit toujours bien après Kurt Cobain. C’est pourtant ce dernier qui produisit l’album « Houdini » en 1993, époque où les Melvins étaient considérés comme un groupe grunge. Cobain adorait les Melvins qui lui rendirent hommage sur « The crybaby », troisième volet de leur phénoménale trilogie « The maggot », « The bootlicker », « The crybaby », parue en 1999-2000, sur le label Ipecac, maison fondée par le légendaire Mike Patton. Puis le monde libre s’est mis à douter de l’appartenance des Melvins à la paroisse grunge. Grunge, stoner, les Melvins sont un peu tout ça. Et quand on ne sait pas où ils sont, on les met dans le punk lourd ou le hardcore torturé, sans parler du doom cérébral ou du metal expérimental, au cas où. Bref, les Melvins sont inclassables, ignorés du grand public après près de 33 ans de carrière et une tripotée d’albums, ce qui termine de démontrer leur génie intemporel. Zappa du rock maudit, Stravinsky de l’électricité novatrice : sortez tous les qualificatifs possibles et jetez-les dans la masse stupide des critiques ou des auditeurs incrédules, vous passerez de toute façon toujours à côté de la plaque. Le grand patron de l’affaire, c’est King Buzzo, servi dans son innommable tâche par le cogneur chef Dale Crover, batteur invincible qui sert les destinées de Buzzo depuis l’album « Gluey porch treatment » de 1986, c’est-à-dire depuis le début.
Et depuis les années 80, les Melvins poursuivent inlassablement leur chemin, construisant une œuvre parfois à une vitesse stakhanoviste avec deux ou trois albums en une année. On les a vus avec des pointures comme Mike Patton ou le légendaire Jello Biafra des Dead Kennedys, toujours en quête d’expérimentations au service du son lourd et des rythmiques névrotiques. Nous n’allons pas nous étendre sur les 25 albums studios, la quinzaine d’EP et la douzaine d’albums live que ces bourreaux de travail ont lâché dans la nature mais nous rappellerons brièvement les derniers épisodes : « Freak puke » (2012), « Everybody loves sausages » (2013), « Tres cabrones » (2013), « Hold it in » (2014), le EP « Bride of Crankenstein » (2014) et ce tout nouveau « Basses loaded » de 2016.
Le titre du nouvel album vient de l’idée qu’a eue King Buzzo de réunir tous les bassistes et batteurs ayant transité dans les rangs des Melvins depuis un bon paquet de temps. C’est ainsi que l’on trouve des musiciens qui affichent aussi d’autres états de service chez d’autres groupes tout aussi mythiques : Steven McDonald (Red Kross, Off!, Tenacious D), Jared Warren et Coady Willis (Big Business), Mike Dillard (batteur fondateur des Melvins et également membre du premier groupe de Kurt Cobain, Fecal Matter, en 1986), Jeff Pinkus (Butthole Surfers) et Krist Novoselic (Nirvana). Tout ce petit monde participe à une ou plusieurs chansons.
Du point de vue du contenu, on dira que « Basses loaded » est un album honorable des Melvins, à défaut d’être absolument génial. Le génie, c’était il y a quinze ou vingt ans. Mais il y a néanmoins matière à amusement avec cette sélection qui pioche un peu dans tous les styles de prédilection des Melvins : tempos lents et menaçants (« The decay of lying », « Beer hippie », « Captain come down »), heavy metal tendu et rapide (« Choco plumbing », « Hideous women », « War pussy »), loufoqueries issues de vieux jingles publicitaires des années 50 ou d’hymnes de base-ball (« Shaving cream », « Take me out to ball game »), jazz rock surprenant (« Planet destructo ») ou mur de son aux fondations colossales (« Phylis Dillard »). Et en bonus, une solide reprise du « I want to tell you » des Beatles, comme les Melvins savent si bien le faire. En effet, le gang de King Buzzo est volontiers coutumier de la reprise de rock classique, que ce soit Kiss, Alice Cooper, les Who, et s’était fendu d’un album complet de reprises sur « Everybody loves sausages ». Ici, le morceau de George Harrison paru initialement sur « Revolver » en 1966 est restauré au fer à souder.
Bref, c’est du Melvins sans surprises mais avec du style et de la tenue, et toujours cette capacité à sortir du son apte à fissurer les tympans. Un bon cru, en quelque sorte.
Pays: US
Ipecac Recordings
Sortie: 2016/06/03