CAUVIN, Philippe – Nu
Le label Musea, excellente maison française spécialisée dans les musiques progressives, rend ici hommage à un artiste pas forcément très connu de la scène progressive française, mais dont l’univers musical riche et poétique ne peut que forcer le respect. Philippe Cauvin a en effet traversé les années 70, 80, 90, 2000 et 2010 en laissant à chaque fois des traces discrètes mais durables, visitant des genres divers avec une insatiable curiosité et une impressionnante capacité d’adaptation. Les six CD édités par Musea ne sont pas une rétrospective de sa discographie connue mais un assemblage d’œuvres inédites, qui expliquent le long silence de Philippe Cauvin entre 1984 et 2014. Durant ces trente années, Philippe Cauvin se livrait à de multiples projets, mais aucun n’arrivait à terme.
Mais avant de passer en revue chacun de ces six CD, approchons-nous un peu plus du personnage. Philippe Cauvin est né le 3 novembre 1952 à Paris mais il passe le plus clair de sa carrière dans la région de Bordeaux. Son premier groupe s’appelle Absinthe, dans la tradition des groupes pop français du début des années 70, entre heavy rock, psychédélisme et progressif. Absinthe tente le fameux concours du tremplin du Golf Drouot à Paris, ce qui lui vaut une présence sur la compilation « Groovy Pop session » (1971), qui rassemble les meilleurs groupes ayant participé au tremplin. Puis c’est Papoose au milieu des années 70, dans une veine plus progressive, et un invraisemblable album « Les amants outangs, moi Tarzan toi Jane » (1973), à l’esprit Martin Circus. Les temps changent en 1976, quand Philippe Cauvin fonde Uppsala, un trio plutôt jazz fusion qui finira par sortir deux albums posthumes en 1984 et 1986 après avoir impressionné la région bordelaise lors de concerts mémorables.
Peu avant, Philippe Cauvin est devenu artiste solo et sort les albums « Climage« (1982) et « Memento« (1984), d’obédience folk progressif. Ce sont les derniers albums officiels avant une bonne trentaine d’années de silence ou à tout le moins de passage dans les couloirs non-visibles de l’activité musicale aux regards du public. Car Philippe Cauvin n’a pas chômé durant ces trente années, et c’est le but des six CD de Musea que d’en faire la démonstration.
Le premier de ces CD, « Nu », ne respecte pas le mouvement chronologique puisqu’il est le premier volume et qu’il présente les tout derniers travaux de Philippe Cauvin, à savoir un concert enregistré le 22 octobre 2014 au Rocher de Palmer à Cenon en Gironde. Ce concert confirme le retour à la lumière de Philippe Cauvin, qui venait de signer chez Musea pour la sortie de son troisième album solo « La voie nacrée », sorti également en 2014. Evidemment, décrire ce que joue l’artiste au stade le plus avancé de son expérience musicale, sans être passé par les phases précédentes qui font l’objet des disques suivants, nous fait rater en quelque sorte les épisodes antérieurs. Mais on aura l’occasion de découvrir le parcours de Philippe Cauvin avec les CD suivants. Pour le moment, on est à un niveau où Philippe Cauvin est comme ces peintres figuratifs passés à l’abstrait après des années de réflexion et d’expérimentation. C’est un Matisse qui a abandonné le dessin classique pour résumer en quelques traits des masses d’expérience rassemblées et concentrées dans un minimalisme puissant. Les neuf pièces musicales qui figurent sur « Nu » sont, comme le titre l’indique, nues. Seule la guitare égrène des notes arides, dispersées mais porteuses d’une indéniable force d’évocation. L’homme se laisse aller à de longs développements (« Mer », « Résilience », « Chemin », « Le secret de la musique des sphères », « Rêverie sauvage »), parfois ponctués de quelques interventions vocales tenant plus de l’onomatopée que de la parole. Un rythme lent fait penser à de la guitare classique espagnole; l’auditeur est promené le long de rivières musicales au cours changeant, entre calme et tourmente, avec son lot d’étonnement ou d’atterrement. On est en quelque sorte en pleine avant-garde folk sévillane, si l’on peut dire.
En somme, ce premier CD qui ouvre la voie à l’univers de Philippe Cauvin n’est pas forcément le plus simple d’accès. Il faut découvrir les autres disques de cette fresque en six épisodes pour reconstituer la logique musicale de cet artiste. La suite au prochain numéro, donc.
Pays: FR
Musea Records
Sortie: 2015