ORANJJOOLIUS – Oranjjoolius
Rien que le nom suggère déjà le bizarre, l’anti-commercial par excellence, bien qu’il soit inspiré des jus d’orange Julius, maison établie aux Etats-Unis depuis 1926. Vous vous voyez vous pointer chez votre disquaire habituel en lui demandant s’il a reçu le premier album de… comment déjà? Oranjjoolius? Si le vendeur vous connaît, il passera peut-être l’éponge mais sinon, vous êtes bon pour une enquête de moralité menée par le commissariat de votre quartier. Mais en plus des vendeurs de disques retors ou des policiers méfiants, tout le monde devrait jeter une oreille sur ce projet aussi insensé que remarquable qu’est Oranjjoolius, une association de trois musiciens américains ayant choisi des pseudonymes tout aussi improbable que leur musique.
Zorro (guitare), Shark Killoneal (basse) et Don Juan Cantonio (batterie) ont choisi Los Angeles pour exercer leurs talents de musiciens déviants, ce qui est une très bonne idée quand on connaît le vent de folie douce qui flotte sur cette ville. La base du style du groupe se compose de garage surf, d’électronique et d’avant-garde discoïde délirante. Avec un tel cocktail, on devrait être en mesure de s’exploser le chou rien que par la puissance mentale. Le premier album du groupe, totalement déconcertant, promène l’auditeur sur des pistes changeantes, qui ne se terminent jamais comme elles ont commencé. On démarre sur du garage punk sixties et on termine dans de la new wave onirique. On attaque surf de la surf music parfaitement identifiable et on se retrouve dans des vibrations stroboscopiques digne des meilleurs exercices drone ambient de la banlieue de Birmingham (« Point broke »). Des atmosphères caribéennes viennent se rajouter à ce montage hétéroclite, comme si on avait besoin de ça (« Tiki sleep cycle »). Mais le pire, c’est que c’est génial! Tout est parfaitement construit, les plis tombent impeccable, les froissements musicaux finissent toujours par se lisser. Dans un morceau comme « R.I.P. », on passe ainsi à du surf punk digne des meilleurs génériques de feuilletons de super-héros des Sixties à un placement en orbite autour des atmosphères feutrées d’un air de jazz psychédélique. Batman et Robin chez Barbarella, en quelque sorte. Plus tard, ce sera le rockabilly nerveux de « Chasin’ me down » qui vous propulsera aux temps glorieux des Stray Cats comme ça, sans avertissement, mais avec toujours en filigrane des petites délires électro qui donnent le côté savoureux à l’affaire. Quant au final « Roll tide » (composé avec le joueur de theremine Armen Ra), ce sont les Shadows qui se battent en duel avec LCD Soundsystem pendant plus de sept minutes.
Mais ce n’est pas fini. Un deuxième CD intitulé « Live in Reno 1964 » se trouve dans la pochette. L’année affichée sur le titre est très attirante. Les gens d’Oranjjoolius seraient-ils des rescapés du temps n’ayant jamais rien sorti jusqu’à présent, bien qu’opérationnels depuis les années 60? On en doute fort, d’après le son énorme qui règne sur ce live et la durée démentielle (27 minutes!) du premier titre « The big medley » qui aligne les chefs d’œuvre surf de Dick Dale ou Link Wray avec des génériques de James Bond dans une tension maximale. Les morceaux suivants sont plus courts mais tout aussi engagés dans le surf rock cher à l’année 1964, quand les Surfaris ou Ian & Dean régnaient en maîtres sur les plages californiennes. Qu’on soit dans le sauvage (« The little medley ») ou le douillet (« Lilian »), tout est instrumental. Et c’est un régal.
Retirons donc notre chapeau devant ces pistoleros électriques qui forment Oranjjoolius et remercions-les de remettre au goût du jour le surf des Sixties, avec un pied solidement planté dans les sonorités modernes. Le surf expérimental de ces gaillards est un petit bijou.
Pays: US
Cleopatra Records
Sortie: 2016/04/01