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LOURAU, Julien – Fire

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Julien Lourau a creusé et pratiqué le funk à sa manière avec son groupe Groove Gang, donné un coup de pied dans l’électrojazz avec ses albums « Gambit » et « City Boom Boom », passé rapidement par le jazz acoustique avec notamment Henri Texier, auteur de la musique du film « Holy Lola », récemment chroniqué sur ce site. Il revient avec un projet tourné vers le rock progressif (Robert Wyatt, Peter Hammill) teinté d’influences balkaniques.

Le groupe qui accompagne Julien Lourau, saxophone ténor et saxophone soprano, Rhodes, est composé de Eric Löhrer, guitare, Bojan « Z » Zulfikarpasic, Rhodes, CX 3, Vincent Artaud, contrebasse, Daniel Garcia-Bruno, batterie, John Greaves, voix, Mina Agossi, voix, Malik Mezzadri, voix, et Sébastien Quezada, voix.

On est tout de suite frappé par le caractère expérimental de l’oeuvre. C’est particulièrement vrai sur « Fire And Forget ». Les distorsions, les dissonances, les percussions hypnotiques, le jeu du saxophone et la voix n’ont vraiment rien de conventionnel.

C’est le synthé qui entame « A Stitch In Time », suivi par un chant très spécial soutenu par le saxophone. Tout se déroule ainsi sans histoire pendant plus de trois minutes, au moment où l’orgue lui succède. La voix poursuit toujours son monologue plaintif et le synthé l’accompagne de façon assez discrète. Cela donne un morceau syncopé marqué par le rythme bizarre des percussions. Puis vient le saxo de Julien Lourau pour transcender le tout. Du grand art ! Il y a du génie dans le jeu de cet artiste et dans la réalisation de l’album. La fin abrupte ajoute au mystère. « Fire And Forget » symbolise la guerre vite décidée en Afghanistan et en Irak mais déplore qu’elle soit vite oubliée. C’est une critique à peine voilée de la presse, prompte à médiatiser le sensationnel au détriment de la véritable information.

« Don’t Save Me » a l’air plus conventionnel à la fois dans son intro plus calme et dans le chant très sage. A peine s’est-on adapté que le ton et la tension montent, que le chant se métamorphose avec les couches successives d’instruments qui viennent s’ajouter les uns aux autres dans une harmonie totale. Pourtant, au rythme qui s’accélère, on sent que tout peut basculer mais à part la contrebasse qui se fait beaucoup plus présente, il n’y a rien à se mettre sous la dent. On en retire l’impression d’avoir été manipulé par plus fort que soi.

« Sometimes » démarre par un rythme intéressant. Le chant grave prépare à l’utilisation géniale du saxo qui reste d’abord discret puis se manifeste en toile de fond pendant que la voix dialogue avec lui, pour se faire beaucoup plus présent par la suite. Les improvisations des différents instruments se succèdent puis se mélangent en un amalgame de sons plus bizarroïdes les uns que les autres. Le saxophone donne le thème principal et les autres essaient de se mettre au diapason. Le chant devient plus déjanté et met en péril les plans échafaudés par les autres artistes, tout ça de façon imperceptible, pour se terminer par les sirènes tonitruantes.

« I’d Rather Not » commence sur un rythme échevelé qui réveillerait un mort. Le saxophone est entouré d’effets électroniques qui lui donnent un aspect irréel. Il ne se prive pas de se mettre en valeur dans des soli géniaux et des improvisations déroutantes. Les phrases répétitives donnent au morceau une allure hypnotique soutenue par le jeu déjanté du saxo. Le reste n’est que jeu dérisoire devant un artiste aussi génial que brillant interprète.

« La boucle » débute par le jeu lent du saxophone et le chant parlé féminin qui répète ad libitum « refermer la boucle ». Le saxo devient vite tonitruant et la voix se fait pressante pour débiter son texte où l’on entend les mots « ciel » et « enfer », puis « Etats-Unis », comme si ces mots étaient associés à jamais. Le saxo combiné à la contrebasse donne un melting pot de bon aloi. Le caractère déjanté du saxo surgit brutalement pour enflammer le morceau et lui rendre ses improvisations brillantes sans être démonstratives. C’est du jazz de très haut niveau !

« Lisa et Flavio » est plus enjoué et fait la part belle au saxophone. Cela ressemble plus à un exercice de style qu’à une suite d’improvisations lorsque soudain le synthé se met en branle pour brouiller les pistes. On en revient ensuite à plus de classicisme mais toujours sur le thème initial qui revient comme un leitmotiv. Une leçon de saxophone pour tous.

Ce sont les percussions puis le synthé qui entament « Relaxin’@ ». La voix latine qui accompagne est un peu hors contexte. On assiste ensuite à un solo de synthé pas piqué des hannetons. Le saxophone ne veut pas être en reste et montre que lui aussi … Remarquable à tous points de vue !

Le caractère politique de « Guantanamo » n’échappe à personne. Les appels au porte-voix font froid dans le dos. Le saxophone se fait fébrile, le synthé omniprésent, la voix agressive, le jeu nerveux. Le malaise s’installe petit à petit et interpelle les consciences, d’autant plus que la voix en espagnol débite des phrases incompréhensibles.

Le saxophone assure dès l’introduction magnifique sur « Messieurs les anglais, tirez les premiers! », un morceau redoutable sur le plan mélodique et joué de façon sublime, les autres instruments servant d’excellents faire-valoir en arrière-plan. Les voix chantent à l’unisson puis le saxo termine de façon abrupte. Après un court arrêt, le propos se fait tout autre. Est-ce un titre caché ? Une blague d’étudiant ? Une ultime tentative de manoeuvrer l’auditeur ? Sans doute un peu tout cela à la fois, de façon à peine audible. Les distorsions des instruments produisent des bruits et des sons divers pour clôturer par un coup de tambour puissant.

C’est ainsi que se termine un album excellent dont le but avoué est de plaider pour la compréhension entre les peuples. Comme Jon Hassell, c’est par ses recherches continuelles et ses rencontres qu’il améliore et fait évoluer son jeu, toujours à la recherche du meilleur. Un album génial.

Pays: FR
Label Bleu / Bang! LBLC 6670
Sortie: 2005/04/10

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