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KASTNING, Kevin – Otherworld

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Ceux qui pensaient tout connaître de la guitare en général et des guitaristes en particulier vont devoir rouvrir leurs cahiers et prendre de nouvelles notes à l’ombre de Kevin Kastning. Ce n’est pas que ce garçon va nous en mettre plein la vue avec des solos plus rapides que l’éclair et capables de faire passer Eddie Van Halen pour un rhumatisant. Ce n’est pas par sa capacité surhumaine à dévaler les manches de grattes en lacérant les frets à coups de tapping forcené que Kevin Kastning fait impression. Ce qui frappe chez ce guitariste du Kansas installé dans le Massachusetts après être passé par le prestigieux Berklee College of Music de Boston, c’est son imagination presque infinie et son inventivité.

Kastning a tellement d’idées que le cadre étriqué d’une guitare à six-cordes n’était pas suffisant pour toutes ses ambitions. Alors, il a fabriqué ses propres instruments. Certes, il y a la guitare à douze cordes mais avec Kastning, on part vers le grandiose, l’olympien, avec des guitares de trente à trente-six cordes. Oui, vous aves bien lu : Kevin Kastning est l’inventeur de la contre-guitare à double manche de 36 cordes et de la guitare contre-alto à 30 cordes, ainsi que des modèles plus « petits » de 15, 16 ou 17 cordes. Mais le modèle double manche à 36 cordes en impose, c’est le stade juste avant la harpe.

N’ayant que dix doigts, comme tout le monde, Kevin Kastning ne peut entourer totalement de sa seule main un manche qui doit faire à peu près 15 centimètres de large. Il joue donc de son instrument comme d’une contrebasse ou un violoncelle, assis sur une chaise et la guitare debout sur les genoux. Ce qu’il compose sur son album « Otherworld » montre que Kevin Kastning est arrivé à des niveaux créatifs incroyablement élevés, que le néophyte pénétrant subitement dans sa musique ne peut vraiment comprendre, à moins d’avoir déjà expérimenté son œuvre dans ses 18 précédents albums.

Car cela fait un certain temps que Kevin Kastning écrit et compose. Son premier album remonte à 1988 (sous le nom de The Kevin Kastning Unit) et il a eu depuis cette époque l’occasion de travailler avec des pointures de la musique acoustique, jazz ou avant-gardiste. Nous citerons sans souci d’exhaustivité Mark Wingfield, Carl Clements, Sándor Szabó, Balázs Major ou Siegfried, sans compter Pat Metheny qui a été le mentor de Kastning lors de ses années de formation. J’avoue ne pas avoir eu l’opportunité de pénétrer dans cette œuvre vaste et complexe. Mais ce que j’entends sur ce dix-neuvième album révèle une maitrise artistique poussée très loin, presque à un niveau où l’artiste a franchi des limites inaccessibles pour le commun des mortels. Ici, Kevin Kastning travaille sur des rythmes lents, dépouillés, sur des arpèges espacés, dans des ambiances désolées. Il alterne des pièces jouées avec sa gigantesque double-manche de 36 cordes et des morceaux exécutés avec une simple six-cordes acoustique. Il est évidemment seul aux commandes, sans chant ni rythmique.

Ce disque me fait l’impression d’un tableau de Rothko ou de Frank Stella : l’artiste est loin, a atteint des niveaux inaccessibles, au point où on pourrait se demander s’il est encore capable de faire un dessin à la portée de tout le monde. Avec Kastning, on se demande si cet artiste daignerait encore jouer le riff de « You really got me » ou de « Louie Louie », tant il a atteint un niveau stratosphérique en matière de créativité. Les titres des morceaux sont eux-mêmes empreints de mystère : « No light, but rather », « In stillness defined », « Arc rotation shadow », « Veiled silent overturn », « No abstraction of perhaps », « Corridors therefrom within ». Ceci correspond bien à l’art musical quelque peu abstrait qui sort des guitares de Kevin Kastning.

Tout cela n’est donc pas d’un abord très facile mais montre que l’imagination et la création n’ont pas de limites. Kevin Kastning nous fait pénétrer dans une nouvelle dimension de l’art de la guitare et nous restons libres de le suivre ou pas.

Pays: US
Greydisc Records
Sortie: 2015/09/22

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