CD/DVDChroniques

TEXIER, Henri – Holy Lola (soundtrack)

Notre évaluation
L'évaluation des lecteurs
[Total: 0 Moyenne: 0]

Avant de parler musique, il convient de situer le film dont cette musique est le support. Bertrand Tavernier nous a habitués à présenter des oeuvres fortes, sans concessions, fruit d’une authenticité peu commune. Contentons-nous de citer « Ca commence aujourd’hui » (1999), film noir, avec l’acteur principal Philippe Torreton transformé en directeur d’école confronté au problème de la misère dans le nord de la France. Il doit faire face au suicide d’une mère poussée au désespoir par le manque de disponibilité des gens, même les mieux intentionnés. On n’en sort pas complètement indemne. C’est Louis Sclavis qui a composé la musique du film. C’est un ami de Henri Texier.

Ici, dans « Holy Lola », Bertrand Tavernier aborde le problème de l’adoption et le situe au Cambodge. On est ainsi confronté au problème du génocide perpétré par les Khmers Rouges sur leurs compatriotes. C’est dans ce contexte voulu par Bertrand Tavernier et sa fille Tiffany, qui lui a offert le scénario écrit avec son mari Dominique Sampiero, que se déroule le film. Le scénario a dû être étoffé au fur et à mesure de l’enquête menée par l’équipe de tournage mixte. Certains des techniciens cambodgiens ont perdu leurs parents dans l’aventure et sont retournés, avec beaucoup de courage et de dignité, sur les lieux où ça s’est passé.

L’équipe de tournage découvre ainsi la misère, matérielle et morale, qui sévit dans ce pays. A l’étonnement de tous, il n’y a pas beaucoup de gens de quarante à cinquante ans. Ils ont tout simplement été tués par les Khmers Rouges. Ce n’est pas un film de fiction, c’est la triste réalité. Le film aborde aussi les problèmes des couples adoptants, les complications administratives tant en France qu’au Cambodge, les tricheries, la corruption, les policiers, plus inquiétants que rassurants, les marchands d’hommes, les orphelinats où les enfants supplient qu’on les prenne, les problèmes du couple suite à ce voyage initiatique, chacun réagissant selon son tempérament à cette situation dramatique.

C’est aussi la déchetterie, où des enfants pieds nus courent après les camions pour trier leur misérable contenu d’ordures, l’orphelinat Holy Baby, difficilement accessible, le centre de nutrition, qui accueille les enfants atteints du sida ou de trisomie, ce qui les rend inadoptables, l’orphelinat de Kandal, où l’équipe tournait en silence pour ne pas déranger la sieste des enfants, le musée du génocide, où il était bien difficile de tourner en présence des cambodgiens présents.

Le décor planté, nous pouvons maintenant écouter soigneusement la bande son. Pour Henri Texier, les défis ne manquent pas. Comment aborder cette musique ? Il conçoit sa musique comme des images en mouvement et prend comme support la musique populaire cambodgienne. Celle-ci comporte des percussions qui sous-tendent le discours musical et lui apportent son dynamisme. Ses racines indiennes en font une musique modale (pour faire court, qui se base sur d’autres modes que le majeur et le mineur, comme par le passé). Ce sont les tambours et le violon qui apportent une touche asiatique.

Le dernier défi est de rendre l’antagonisme entre la structure rythmique donnée par la contrebasse et la batterie et les autres instruments comme la clarinette et les cuivres, la guitare, le violon et le violoncelle. Cette tension permanente à maintenir constitue la tâche de Henri Texier. Ce n’est pas un débutant dans ce domaine et il évite brillamment les écueils.

Il juxtapose son Strada Sextet (Henri Texier, contrebasse, Guéorgui Kornazov, trombone, François Corneloup, baryton-sax, Sébastien Texier, clarinette, clarinette-alto, alto-sax, Manu Codjia, guitare, et Christophe Marquet, batterie) et le cercle des amis de Louis Sclavis, clarinette, clarinette-basse, soprano-sax : Dominique Pifarély, violon, Vincent Courtois, violoncelle, Bruno Chevillon, contrebasse, et François Merville, marimba, rejoints par Francis Pichon, percussions, métallophone. On doit les arrangements à Anahit Simonian et Henri Texier. Les textes sont dits par Isabelle Carré et Jacques Gamblin, deux acteurs renommés qui transcendent le film par leur personnalité et leur implication totale dans le sujet du film.

La tension est déjà perceptible sur « Holy générique (début) ». La contrebasse, le style indien, les percussions, les cuivres se succèdent puis se mélangent en un amalgame sonore qui entretient une tension permanente. Cela donne en même temps une couleur locale très perceptible.

« Sentinelle éternelle », au rythme plus lent, ajoute par l’utilisation originale des cuivres une sorte de dépaysement que doivent ressentir les voyageurs qui se rendent dans ce pays pour la première fois. On imagine bien leur étonnement et leur envoûtement en voyant, en sentant, en entendant des choses inconnues des occidentaux.

« No Children » est une longue complainte sur une musique populaire cambodgienne, où la contrebasse et le violon se disputent la vedette. Ce morceau évoque la souffrance des couples qui ne peuvent avoir d’enfant alors qu’ils en ont envie au point que ça devient une obsession.

Plus jazz, « Chemises sauvages » est atypique par rapport aux autres titres. Il est plus joyeux, plus rythmé et fait la part belle aux cuivres, bien soutenus par la contrebasse, le violoncelle, le métallophone et les percussions. C’est une parenthèse bienvenue pour faire diminuer une tension latente perceptible tout au long du CD.

« Partout j’te vois » nous replonge dans le sujet principal à grand renfort de cordes. Plus long, « Y a des vautours au Cambodge » est basé sur les battements de tambours qui dynamisent le propos austère du film et lui donnent son rythme. Les cuivres donnent à cette plage un caractère plus jazz. Cela parle de ceux qui profitent du malheur d’autrui pour se remplir les poches, le nom vautour n’ayant pas ici son sens premier.

Sur « Voyage à Kep », sur des routes chaotiques au sud du Cambodge, non loin de la frontière avec le Vietnam, on assiste à une joute pacifique entre les cuivres et les cordes sur une musique très belle mais de courte durée. « Moto Dop » voit réapparaître les tambours et en même temps cette tension insoutenable qu’ils apportent. Le solo de batterie vient à propos pour nous le rappeler. Les cuivres sont utilisés de manière géniale, ni plus ni moins. C’est sans conteste un des sommets de l’album.

« Funambule » évoque le rêve mais en même temps les difficultés que l’on éprouve sur le plan de l’information. Ce subtil mélange produit un effet de transition. La tension remonte d’un cran sur « Orphans », où l’on évoque les visites aux centres réservés aux enfants qui ont tout perdu mais surtout leurs parents. De nouveau, les cuivres sont utilisés avec beaucoup d’à-propos et mis en parallèle avec le violon.

« Pas dans mon ventre » commence par un gong, synonyme du temps qui passe. La future mère adoptive éprouve les mêmes envies qu’une femme enceinte mais en pure perte. Elle n’est pas sure d’être mère un jour et elle en est frustrée. Sur une musique que ne désavouerait pas Miles Davis, « Phnomh Penh Blues » tempère un peu cette impression mais les tambours rappellent le caractère dramatique de la situation.

« Tonlé Sap » évoque le fleuve dont le cours s’inverse au moment de la fête des eaux. A ce moment, il devient inaccessible pour tout le monde. Pour faire contraste, sur « You Sing? », on entend des enfants chanter, accompagnés par le violon, et ça paraît beau. Mais le violon se fait plus insistant pour nous rappeler qu’un drame potentiel est en train de se jouer.

« Décharge » est un court morceau plaintif qui rappelle la musique indienne. « Pagode » brille par l’usage des cuivres et le climat de tension permanente savamment entretenu. « Déminage » est une longue plainte renforcée par le violon où l’on imagine sans peine les victimes des mines.

Le fleuve Tonlé Sap voit son cours inversé au moment de la « Fête des eaux », un morceau très court. On entend juste le violon et le texte dit par l’acteur principal. Egalement court, « Clinique Sim Duong » est aussi une plainte bercée par le violon et le violoncelle. C’est un bel exemple de musique modale.

« Décédés ou disparus ? » est au cœur du drame du génocide perpétré par les Khmers Rouges sur leurs compatriotes. Cette musique lancinante s’impose pour marquer le respect des morts. « Docteur Sim Duong » est caractérisé par l’usage du violon puis du métallophone. Et il y a toujours en filigrane ces cuivres et cette contrebasse implacables qui viennent rappeler le drame.

C’est une voix d’enfant irréelle qui chante sur « Lola générique (fin) ». Le violon vient ponctuer le thème final qui rappelle le thème général qui illustre l’album et surtout le film. « B) Lola » est un peu la suite du précédent et constitue aussi le générique final sur une musique complètement déboussolée, pareille à tous ces gens venus d’ailleurs pour adopter un enfant. C’est sur une musique magnifique jouée au violon que « Holy Lola (post scriptum) » termine l’album.

Rien que par la musique qui crée un remarquable climat de tension et de drame, on a envie de voir ce film peu banal qui fait honneur au cinéma français. N’est-ce pas ce qu’on demande à une musique de film ?

Pays: FR
Label-Bleu / Bang! LBLC 6678
Sortie: 2004/11

Laisser un commentaire

Music In Belgium