VARIOUS ARTISTS – Mysterious Voyages – A Tribute to Weather Report
Ce bel hommage à Weather Report, un des pions majeurs de la fusion Jazz-Rock, frappe par sa diversité et son originalité. En effet, si plusieurs des compositions proviennent directement du répertoire de Weather Report, elles sont toutes ici retravaillées et revitalisées ; donc ici, pas de pâles copies. Par contre, d’autres compositions sont totalement nouvelles, mais construites dans l’esprit de ce groupe mythique.
Une autre constante sur ces 2 CDs est l’utilisation quasiment permanente de la guitare, bien qu’elle soit rarissime chez Weather Report, tout au long de sa carrière. Seul Carlos Santana avait travaillé, en tant qu’invité, sur le dernier album du groupe, « This Is This », assez médiocre d’ailleurs. Par contre, bizarrement, les saxophones n’ont pas été utilisés dans plus de la moitié des titres.
Plus de nonante musiciens ont participé à ces enregistrements et si la plupart sont réputés et surtout actifs dans le monde de la Fusion, il y a également quelques surprises agréables chez les moins connus. La qualité générale est excellente.
En préliminaire, pour bien comprendre ce que représente Weather Report, un bref rappel historique.
En 1969 et 1970, le trompettiste Miles Davis révolutionne le monde du Jazz en enregistrant deux albums, « In a Silent Way » et « Bitches Brew ». L’utilisation de l’espace, le son et le rythme y sont fondamentalement modifiés par l’intégration d’éléments du Rock, dont l’électricité, véritable hérésie pour les puristes du Jazz. Pour cela, il est aidé par une palette de musiciens de génie qui, à sa suite, formeront tous d’autres groupes majeurs : le claviériste Joe Zawinul et le saxophoniste Wayne Shorter, Weather Report ; le batteur Tony Williams, le Tony Williams Lifetime ; le guitariste John McLaughlin, Mahavishnu Orchestra ; le claviériste Chick Corea, Return to Forever ; le claviériste Herbie Hancock et le saxophoniste-clarinettiste Bennie Maupin, Headhunters ; … Tout cela provoquera une émulation fantastique entre des artistes inventifs, brillants solistes, appréciant les nombreuses associations mouvantes et ponctuelles dans lesquelles technique, improvisation et recherche de nouvelles sonorités domineront. A la surprise générale, cette Fusion rencontrera un engouement populaire important.
Weather Report, dans cette explosion, étonne par sa longévité, sans commune mesure avec les autres formations du genre. Le groupe a débuté en 1970 et ne s’est séparé qu’en 1986, en conservant tout au long de ses années, ses deux chevilles ouvrières, ses fondateurs, l’Autrichien Joe Zawinul et l’Afro-Américain Wayne Shorter, qui s’étaient déjà rencontrés en 1959. En constante évolution, ce groupe a également permis la découverte d’une autre personnalité d’exception, le bassiste Jaco Pastorius. Celui-ci, par son style très percussif, sa spectaculaire virtuosité, sa forte présence et ses capacités de compositeurs, donnera une nouvelle direction à Weather Report. Il avait succédé à Miroslav Vitous, puis Alphonso Johnson, en 1976. Victor Bailey le remplacera à partir de 1982. L’importance du rythme dans Weather Report se constatera aussi par la présence constante d’au minimum un batteur et un percussionniste. Ils défileront littéralement ; quelques noms prestigieux dans le rôle de batteur : Alphonse Mouzon, Eric Gravatt, Ndugu Leon Chancler, Narada Michael Walden, Chester Thompson (qui ne s’accordera pas avec Pastorius), Peter Erskine, Omar Hakim et, dans le rôle de percussionniste : Airto Moreira, Dom Um Romao, Alyrio Lima, Alex Acuna, Manolo Badrena, Bobby Thomas Jr, José Rossy, Mino Cinelu. Weather Report comprendra toujours une large majorité de musiciens Noirs, dont un bon nombre d’origine latino-américaine.
La musique de Weather Report fusionnera, à l’envi, le Jazz et le Rock, les musiques africaines et latino-américaines, l’acoustique, l’électrique et l’électronique ; tout cela sur des rythmiques endiablés.
Ci-dessous, les groupes et les titres joués :
CD 1 (75’37) :
- Scott Kinsey – « Big Rock » (Scott Kinsey) (4’38)
- Marcus Miller – « Teen Town » (Jaco Pastorius) (4’56)
- Michael Borstlap & Yuri Honning – « Memory of Enchantment » (Michael Borstlap) (4’13)
- Trinity – « Weather Is Changing » (Franz Holtmann/Matthias Krauss) (7’57)
- Michael Wolff Trio – « Pinocchio » (Wayne Shorter) (5’30)
- Tribal Tech – « You May Remember Me » (Scott Henderson/Scott Kinsey/Gary Willis/Kirk Covington) (4’44)
- John McLean – « Three Views of a Secret » (Jaco Pastorius) (7’40)
- Kai Eckhardt – « Queen of Cups » (Kai Eckhardt) (9’11)
- Angela Celada – « Cornet Pocket » (Joe Zawinul) (7’17)
- Richard S. & The Vibe Tribe – « Travels » (Richard S.) (8’29)
- Rachel Z Trio – « On the Milky Way Express » (Wayne Shorter) (6’10)
- Gary Willis – « Emancipation » (Gary Willis) (4’52)
CD 2 (76’56) :
- White House – « Bombay » (Boudewijn Lucas) (6’18)
- Terje Gewelt & Christian Jacob – « A Remark You Made » (Joe Zawinul) (5’19)
- Rocco Zifarelli – « Havona » (Jaco Pastorius) (7’36)
- Jim Beard – « Fever » (Jim Beard) (5’51)
- Acoustic Mania – « Birdland » (Joe Zawinul) (5’38)
- Torsten De Winkel, Janek Gwizdala, Audun Waage, feat. Scott Kinsey – « Scarlet Woman » (Alphonso Johnson/Wayne Shorter/Joe Zawinul) (5’09)
- Karizma – « Palladium » (Wayne Shorter) (7’32)
- Tony Grey – « White Woods » (Tony Grey) (8’00)
- Alex Gunia – « American Tango » (Joe Zawinul/Miroslav Vitous) (9’10)
- Slop Shop – « Overlook Hotel » (J. Peter Schwalm) (4’33)
- Mantra – « Mysterious Traveller » (Wayne Shorter) (7’29)
- Clive Stevens – « Beat 17 » (Clive Stevens) (4’21)
Voici la provenance des titres à l’origine, se répartissant dans seulement cinq albums de Weather Report sur les seize publiés pendant l’existence du groupe. Il est à noter que la partie la plus expérimentale a complètement été écartée dans le choix des artistes présents.
- « Mysterious Traveller » (1974) (2/6,9,11)
- « Heavy Weather » (1977) (1/2 – 2/2,3,5,7)
- « Mr. Gone » (1978) (1/5)
- « Night Passage » (1980) (1/7)
- « Sportin’ Life » (1984) (1/9)
- « High Life » (Wayne Shorter) (1994) (1/11)
Pour commencer, dans l’ordre, quatre pièces exceptionnelles :
La pépite s’intitule « Weather Is Changing », avec la guitare agressive, bourrée d’effets et tranchante de Franz Holtmann, la basse de Gudze, bien en avant, dans des prouesses à la Jack Bruce, le batteur Marco Minnemann, percutant à souhait, le claviériste Matthias Krauss dans un beau soutien à l’ensemble. Derrière tous ces musiciens qui m’étaient inconnus, le délirant Holger Czukay de Can au cor anglais. A mon sens, excepté la basse, plutôt éloigné de Weather Report, mais franchement bien foutu. (19/20)
Le superbe « Havona » de Jaco Pastorius est totalement retravaillé. La basse, limpide, de l’ex-John McLaughlin Group, Matt Garrison, excelle avec le besogneux batteur Paco Sery, puis, surtout, un guitariste flamboyant, Rocco Zifarelli, qui vient de « je ne sais où », dans un style combinant Mike Stern, Shawn Lane et John McLaughlin. (18,5/20)
Tribal Tech avec « You May Remember » donne des frissons, tant l’interprétation du guitariste Scott Henderson, très Jeff Beck, dégage ici une fantastique émotion. Scott Kinsey aux claviers, Gary Willis à la basse et Kirk Covington à la batterie soutiennent tout cela avec beaucoup de finesse. (18/20)
« Birdland », une des perles composées par Zawinul, est redessiné par le duo acoustique des guitaristes Antonio Forcione et Neil Stacey. Bizarrement, cette version respire le « Deep South ». Il fallait oser le faire et surtout le réussir. (17,5/20)
Voici enfin quelques pièces également marquantes, mais en sachant bien, dès le départ, qu’il n’y a vraiment rien à jeter dans ce qui n’est pas cité :
« Teen Town », un classique joué dans l’esprit des origines, rassemble une belle palette rythmique. L’ex-collaborateur de Miles Davis, Marcus Miller, y est en démonstration à la basse, avec cinq batteurs et percussionnistes au pedigree impressionnant, Omar Hakim, Don Alias, Paulinho da Costa, Steve Ferrone et Andy Narell. Le guitariste Hiram Bullock et le claviériste Philippe Saisse complètent tout cela. Joli !
« Pinocchio » est une bien belle partie, très Jazz classique, jouée en trio, avec Michael Wolff au piano, appuyé impeccablement par la contrebasse de Christian McBride et la batterie de Tony Williams. Excellente interprétation !
Sur le langoureux « Queen of Cups », l’ex-John McLaughlin Trio, le bassiste Kai Eckhardt, étale, tout en souplesse, sa technique éblouissante et son énorme feeling, couvert avec légèreté par le batteur Sean Rickman et le claviériste Aydin Esen, remarquable également par son élégant solo de piano.
Le rapide « Travels » est marqué par ses ambiances africaines, confortées par les voix de Roy Galloway et Orin Waters. Patrice Rushen guide tout cela aux synthétiseurs, alors que les saxophones de Bill Evans et Bob Malach et la guitare de Richard S. s’envolent dans des solos bien trempés. Terri Lyne Carrington à la batterie, Munyungo Jackson aux percussions et, à nouveau, Kai Eckhardt soutiennent vigoureusement la fête.
L’arrivée de Tony Grey donne directement à « White Woods » un côté plus expérimental. Sa basse y percute à souhait, appuyée par l’ancien compagnon de Jaco Pastorius, le batteur Kenwood Dennard, très cogneur et utilisateur sans mesure des cymbales. Le guitariste David Fiuczynski, que j’avais découvert avec Gongzilla, manie beaucoup la distorsion, comme à son habitude. Les claviers de Romain Collin accentuent l’aspect expérimental, alors que le saxophoniste Walter Smith III reste lui très classiquement dans la ligne de Wayne Shorter. Original et très plaisant !
« American Tango » impressionne par la guitare génialement brouillonne et déjantée d’Alex Gunia sur le jeu particulièrement percutant et percussif du batteur Michael Klaukien, appuyé par le son propret de la contrebasse d’André Cayres.
En définitive, un excellent double-album magistralement interprété par des artistes naviguant dans l’esprit même de Weather Report et, … du Jazz-Rock ; c’est-à-dire, toujours inventif, revitalisé et remodelé à l’infini, jamais sclérosé, même dans des pièces plus anciennes. Ceci devrait également générer une autre envie : celle de réécouter tous les albums originaux de Weather Report.
Une seule question se pose sur ces enregistrements et pour laquelle je n’ai pas reçu de réponse : quand tout cela a-t-il enregistré, surtout lorsque l’on sait, par exemple, que Tony Williams est mort en 1997 ?
Pour information, voici les musiciens les plus connus, non encore cités, ayant également participés :
- Claviers : Jim Beard, Dave Garfield
- Guitares : Jon Herington, Michael Landau
- Basses : Lincoln Goines, Neil Stubenhaus
- Drums : Adam Nussbaum, Dennis Chambers, Vinnie Collaiuta
- Percussions : Arto Tuncboyaciyan
Sorry pour tous les autres, mais ils étaient vraiment trop nombreux.
Pays: DE
ESC Records ESC 3692-2
Sortie: 2005/04/25