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JUNIOR’S EYES – Junior’s Eyes

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Dans le Swinging London de la fin de ces années 60 psychédéliques et fleuries, il est un groupe que l’histoire a oublié : Junior’s Eyes. Et pour cause : cette formation auteure d’un unique album en 1969 avait tenté de quitter le carcan psychédélique pour explorer de nouvelles voies qui n’allaient pas tarder à donner naissance au rock progressif. Mais, comme cela arrive souvent aux groupes rock en transition entre deux genres, ils ne sont reconnus ni par leur ancienne église, ni par les nouveaux disciples qu’ils ont contribué à mettre sur un nouveau chemin. Parce qu’étant au-delà du psychédélisme, Junior’s Eyes n’a pas été assimilé dans la faune des Beatles, des Pink Floyd, de Tomorrow, de Dantelion’s Chariot ou autres Idle Race. Et parce qu’étant à l’orée du progressif, Junior’s Eyes n’a pas trouvé sa place parmi les King Crimson, Family, Genesis, Soft Machine, Van Der Graaf Generator ou autres Pink Floyd (encore eux).

L’homme central de Junior’s Eyes s’appelle Mick Wayne. Né à Hull en 1945, ce garçon gravite dans les milieux musicaux des années 60. Son premier groupe, The Outsiders, comprend un tout jeune Jimmy Page à la guitare et sort un unique 45 tours en 1965 sur Decca, produit par le légendaire Andrew Loog Oldham. On retrouve ensuite Mick Wayne dans les Hoollaballoos, groupe qui fera quelques tournées américaines et ira même se perdre du côté de Téhéran. Puis ce sont les Bunch Of Fives, un combo dans lequel figure aussi le futur batteur des Pretty Things, Viv Prince. Avec un single à leur actif, les Bunch Of Fives se retrouvent au festival de Cannes et traînent en compagnie d’Andy Warhol, dans un esprit de liberté et des situations rocambolesques typiques des Sixties.

De retour à Londres, Mick Wayne fait la connaissance de Rick Brown, un personnage haut en couleurs qui anime les mythiques Misunderstood, un des groupes les plus sous-estimés de la scène beat, R ‘n’ B et psychédélique de l’époque. Etant parvenu à signer chez l’agence Straight Ahead (qui s’occupe également des intérêts de Procol Harum, The Move et Tyrannosaurus Rex), The Bunch Of Fives se rebaptise The Tickle et sort son seul single en novembre 1967. « Subway (smokey pokey world)/Good evening » ne connaît aucun succès commercial mais sa face A a réussi à survivre sur de nombreuses compilations contemporaines consacrées au psychédélisme anglais.

Deux mois plus tard, en janvier 1968, Mick Wayne monte son propre groupe, qu’il baptise Junior’s Eyes et dans lequel il enrôle John Carr à la batterie (futur associé de Donovan) et John « Honk » Lodge à la basse (ex-Graham Bond Organisation). La batterie passe rapidement dans les mains de Steve Chapman, un ancien du groupe beat Pandemonium. Le premier single de cette formation sort en juin 1968 sur Regal Zonophone. « Mr Golden trumpet player/Black Snake » est produit par Tony Visconti et voit une intervention de Rick Wakeman au piano. Sa face B est incontestablement plus remarquable que sa face A mais de toutes façons, le disque est voué à l’échec commercial.

Après avoir intégré un vocaliste lead à plein temps, Graham « Grom » Kelly, Junior’s Eyes a l’occasion de jouer pour une des fameuses sessions BBC du DJ John Peel en octobre 1968. Le deuxième single du groupe sort en mai 1969. « Woman love/Circus days » se tourne davantage vers la soul mais ne connaît pas de succès pour autant. C’est alors que sort l’album « Battersea power station » en juin 1969. A l’époque, le psychédélisme décline doucement et certains groupes tentent des expériences hard rock ou blues lourd (Led Zeppelin, Free). Le progressif est encore un peu dans les limbes, ses principes ayant été posés par l’album « Music in a doll’s house » de Family en juillet 1968. Quant au premier album considéré comme tel, « In the court of the crimson king » de King Crimson, il ne sortira qu’en octobre 1969. L’album de Junior’s Eyes se situe donc dans cette transition en devenir et on peut même y voir dans ses morceaux les premières traces de hard rock progressif.

Et il est vrai que cet album est impressionnant et passionnant. Démarrant avec l’inquiétant et rythmé « Circus days », il offre son lot de solos extraordinaires (« Imagination »), de ballades romantiques (« My ship », « I’m drowning »), de rengaines de cabaret (« Miss Lizzie »), de blues funky (« So embarrassed »), de folie tropicale (« Freak in »), de heavy rock (« Playtime », le remarquable « White light ») ou de folk électrifié (« By the tree »). La richesse des compositions, l’enthousiasme des musiciens et une production soignée signée Tony Visconti (alors au début d’une longue et prolifique carrière) font de cet album un excellent moment, une œuvre à ne pas rater pour les amateurs de rock anglais des Sixties.

Après un troisième single « Star child/Sink or swim » paru en août 1969, la carrière de Junior’s Eyes tire doucement à sa fin. Le groupe devient le backing band de David Bowie qui sort à l’époque son deuxième album éponyme (aussi connu sous le nom de « Space oddity ». Le dernier concert de Junior’s Eyes avec Bowie a lieu le 3 février 1970 au Marquee de Londres. Ce jour-là, Bowie fait la connaissance de Mick Ronson, originaire de Hull comme Mick Wayne. Les Spiders Of Mars naîtront bientôt, refoulant Junior’s Eyes dans les oubliettes.

Mick Wayne part aux USA accompagner Joe Cocker en tournée tandis que John Cambridge (batteur qui avait remplacé Steve Chapman) et Tony Visconti rejoignent David Bowie. Le reste des Junior’s Eyes crée le groupe Quiver et Steve Chapman rejoint Poco. A son retour en Angleterre, Mick Wayne officie dans différents groupes, dont les mythiques Pink Fairies. Retiré des activités musicales, il meurt dans l’incendie de sa maison en juin 1994.

On honorera donc sa mémoire avec cette excellente réédition de l’album « Battersea power station » par le label Esoteric Recordings, qui enrichit le tout avec un second CD composé des singles de Junior’s Eyes (ainsi que le single de The Tickle) et de la série de titres joués à la session BBC de John Peel en octobre 1968. Tout ceci est succulent et hautement conseillé aux amateurs de rock classique.

Pays: GB
Esoteric Recordings ECLEC 22502
Sortie: 2015/06/29 (réédition, original 1969)

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