CAPTAIN BEEFHEART & THE MAGIC BAND – Live from Vancouver 1973
Le label Gonzo Multimedia poursuit sa politique de rééditions de concerts de Captain Beefheart. Parler de rééditions est un euphémisme, on est plutôt ici dans la transformation en versions officielles de pirates ayant circulé sous le manteau durant des décennies et, pour ce qui est de Captain Beefheart, majoritairement disponibles en version audio sur YouTube. Recycler des enregistrements pirates part d’une bonne intention, si l’on fait abstraction de la problématique juridique qui veut qu’un bootleg, c’est autant de moins dans la poche de l’artiste. Mais l’amateur de musique se dit souvent que l’artiste gagne suffisamment de pognon comme ça et qu’un bon petit concert obscur de son idole change du live officiel écouté des centaines de fois. Les gens de ma génération ont tous suivi ce raisonnement avec AC/DC, Judas Priest ou Led Zeppelin.
D’autant que des concerts pirates d’AC/DC ou Led Zeppelin, il en existe de magnifiques du point de vue son. Mais pour le cas qui nous occupe ici, Captain Beefheart, on se trouve bien souvent en présence de concerts captés en douce dans des conditions acoustiques désastreuses par des petits malins équipés de magnéto à cassettes fabriqués à Hong Kong. Et à l’époque, le matos pas cher, c’était vraiment naze. J’ai déjà eu l’occasion de le dire à l’occasion de la chronique du « Live from Harpo’s« , précédemment édité par Gonzo. Mais je le répète : à quoi cela sert-il de cumuler dans sa discothèque des dizaines de pirates au son tout pourri alors que deux ou trois concerts nickel suffisent à retrouver et à conserver la mémoire d’artistes brillants et de les aimer d’autant plus?
Bien sûr, il y a les maniaques du complètisme, ceux qui veulent tout avoir, ceux qui se satisfont de voir s’étendre sur de longs rayonnages des dizaines de disques du même artiste, sans se préoccuper de la qualité sonore de certains de ces disques. Et il y a les sélectionneurs, les trieurs sur le volet, ceux qui ne veulent que le haut du panier en matière de son et qui rejetteront dédaigneusement les bas morceaux à l’acoustique douteuse. Avec certains musiciens, on peut y aller sans crainte. Personnellement, je ne regrette pas de mettre systématiquement la main sur tout pirate de Frank Zappa que je peux trouver, car ce type était un maniaque de la perfection. Mais avec des bordéliques (Stooges, Sex Pistols…), on est quasiment sûr de se retrouver immanquablement avec de la bouillie sonore.
Pour Captain Beefheart, c’est malheureusement souvent la deuxième catégorie qui s’impose. Et ça ne rate pas ici avec ce « Live from Vancouver », enregistré le 3 mars 1973 au Commodore Ballroom. On est à l’époque de la tournée de promotion de l’album « Clear spot », sorti quelques mois auparavant. Captain Beefheart est accompagné de Zoot Horn Rollo (guitare), Rockette Morton (basse), ses fidèles acolytes depuis l’album « Trout mask replica » (1969), ainsi que de Roy Estrada (habituellement chez Frank Zappa) et Ed Marimba (batterie, également des Mothers Of Invention de Frank Zappa et arrivé chez le Captain Beefheart en 1971). Alex St. Clair, ancien pensionnaire de Captain Beefheart, revient ici pour la tournée « Clear spot ». Ce concert de Vancouver, qui dispense plusieurs morceaux de « Clear spot », « The spotlight kid », « Trout mask replica », « Mirror man » ou « Lick my decals off, baby » avait tout pour être passionnant. On y entend le Captain vocaliser en tous sens, de façon imprévisible, et s’étendre sur quelques reprises blues comme « I’m you king bee » ou « Sugar mama ». Mais, encore et toujours, c’est le son calamiteux qui vient ôter tout le potentiel de ce concert, qui écoule un borborygme inaudible pendant plus d’une heure.
Il n’y a plus qu’à tenter d’écouter le tout, en faisant des efforts d’imagination pour se faire une idée sur ce concert objectivement captivant mais ayant perdu toute force de frappe en raison de ce son indigne. Et l’on repense encore une fois au génie de Captain Beefheart en maugréant à nouveau sur ces enregistrements pirates qui retirent toute la magie de ce chanteur et compositeur d’exception. Et on en revient à rêver aux mythiques bootlegs du Captain, le Kansas City 1974, l’Amsterdam 1980, qui mériteraient vingt fois d’être réédités par Gonzo Multimedia. Mais peut-être le label garde-t-il ces perles pour la fin?
Pays: US
Gonzo Multimedia
Sortie: 2014/11/17