PIZON, Baptiste – Caprices et manigances
A l’heure où la chanson française s’englue dans toujours plus de vulgarité, toujours plus de paroles écervelées, toujours moins de vision créative et toujours moins d’impertinence, une faible lueur brille au fond d’une caverne d’espoir perdue dans cette forêt décatie toujours piétinée par d’abominables bestioles du genre obisposaure, florentpagnyosaure ou calogerosaure. Cette petite lueur, c’est celle de Baptiste Pizon, auteur-compositeur laissé à lui-même et tout heureux de construire son œuvre dans son coin, loin des grands médias et pour le plus grand plaisir de tous ceux qui ont la chance de découvrir son existence.
Armé d’une guitare depuis ses onze ans, Baptiste Pizon titille le verbe, met de sympathiques petites piques dans les certitudes bourgeoises, manie le surréalisme avec brio ou décrypte avec tendresse et malice les inepties de notre monde moderne. Baptiste Pizon est également un touche-à-tout qui s’est intéressé au cinéma (il écrit une musique pour sept courts-métrages dans un concept de ciné-concert intitulé « Millimetrik Klaxon » en 2009), a joué avec divers ensembles classiques, jazz et rock et a finalement entamé une carrière solo en 2011.
Celle-ci débute avec son premier album « Baptiste Pizon », majoritairement teinté de folk. Suivront « La passerelle » en 2013 et ce nouveau « Caprices et manigances » sorti cette année. Au fil des albums, Baptiste Pizon, éternel fureteur et manieur de genres, fait évoluer son style vers des sonorités plus folk rock, voire rock. Quand on ne connaît pas ce musicien, on ne tarde pas à comprendre que l’on a affaire à du sérieux en matière de fantaisie créative et de poésie impertinente. La densité des paroles, la puissance évocatrice des textes, la nervosité de l’interprétation, la richesse des mots capturent intégralement l’auditeur qui est complètement plongé dans l’univers pizonien.
« Fleurir », « Bungalows à la périphérie », « Le scaphandre et le gogo », « L’hurluberlu », ou « Les inspecteurs du midi », outre leurs titres déjà évocateurs, recèlent de petits joyaux de littérature absurde ou de phrases insensées. Baptiste Pizon raconte de façon baroque et surréaliste des petites histoires dérisoires, donne des coups de canif vicelards dans la bêtise humaine ou délivre des ballades poignantes de beauté et de finesse (« La ronde », « Bleu », « La berceuse du pigeon blanc »). Et de plus, instrumentalement, Baptiste Pizon est un excellent guitariste.
Impossible d’écouter cet album d’une oreille distraite, en rangeant sa vaisselle ou en cirant ses bottes à talons aiguilles. Une fois rentré dans le tunnel musical de Baptiste Pizon, on n’en ressort que de l’autre côté, sans avoir pu descendre en marche et s’être échappé par une petite porte latérale. L’homme est entier dans sa musique et richissime du point de vue de l’imaginaire musical. Voir un tel talent éloigné des sommets de la gloire est un peu révoltant mais en fait, c’est peut-être une chance de pouvoir conserver caché ce trésor que les vilains tenant le grand public dans la bêtise ne viendront pas vandaliser par leur goût du lucre et leur exploitation de succès éphémères.
On pourrait dire que Baptiste Pizon sauvegarde la pertinence et la beauté du chant en français à la manière de ce qu’il dit en quelques mots dans sa chanson « La fourmi » : « Sans rien dire à personne, je fais le job ».
Pays: FR
Autoproduction
Sortie: 2014/04/15