BLOOMFIELD, Mike, KOOPER, Al & STILLS, Stephen – Super session
C’est un classique intemporel dont il est toujours plaisant de parler à l’occasion des rééditions régulières dont il fait l’objet. L’album « Super session » de Mike Bloomfield, Al Kooper et Stephen Stills est paru en 1968 et figure depuis sur le Mont Olympe des albums indémodables du blues rock. Et pourtant, la confection de cet album n’a pas été des plus simples. C’est même à l’issue d’un véritable exercice d’acrobates qu’il a vu le jour et s’est imposé comme un des plus grands albums de blues rock américains de tous les temps.
Déjà, dans « Super session », il y a le mot super. On pense tout de suite à « super-groupe » par association d’idées. Et en effet, ce disque réunit pour la première fois des vedettes et préfigure toute cette vague de super-groupes qui naîtront au cours de la décennie 70, souvent pour des destinées très courtes. Par la rencontre éphémère de trois pointures du blues et du rock que cet album a suscitée, ce disque pose pour ainsi dire les bases de ce que sera plus tard un super-groupe : sensationnalisme du projet, brièveté de l’œuvre.
Tout commence avec Al Kooper au printemps 1968. Ce dernier est une figure établie du blues de la côte Est, avec une carrière démarrée dans le Blues Project en 1965 et poursuivie dans Blood, Sweat & Tears, groupe qu’il contribue à fonder mais qu’il quitte dès le premier album, en 1967. Al Kooper est également connu pour avoir participé à l’enregistrement du fameux « Highway 61 revisited » de Bob Dylan, où il partage le studio avec un prodige de la guitare, Mike Bloomfield. Bloomfield évolue à l’époque dans le Paul Butterfield Blues Band, dont le « East/West » de 1966 est un chef-d’œuvre du blues rock des Sixties, puis il quitte le groupe en 1967 pour former Electric Flag avec le claviériste Barry Goldberg, le chanteur Nick Gravenites et le batteur Buddy Miles (futur Band Of Gypsies de Jimi Hendrix).
En 1968, donc, Kooper a l’idée de faire un album de blues avec Mike Bloomfield. Il vient de jouer avec lui sur « Grape jam », une session improvisée pour le compte des Californiens de Moby Grape qui paraîtra en tant que disque bonus de leur deuxième album « Wow ». Bloomfield est d’accord pour enregistrer un album de blues dans la foulée. Kooper prépare bien son affaire, déniche des musiciens de studio (dont le batteur Eddie Hoh et Barry Goldberg), loue une maison à proximité des studios Columbia qu’il obtient en location pour deux jours. Le premier jour, Bloomfield, Kooper, Hoh, Goldberg et le bassiste Harvey Brooks travaillent d’arrache-pied pendant sept heures d’affilée, improvisant des morceaux qui satisfont pleinement les protagonistes. Les musiciens mettent en boîte cinq morceaux complètement finis, trois compositions originales et deux reprises : « Stop » (un titre écrit par Mort Schuman) et le « Man’s temptation » de Curtis Mayfield.
Mais le soir de ce premier jour, quand les musiciens vont se coucher, Mike Bloomfield ne parvient pas à dormir, téléphone à des copains à San Francisco et se met en tête de prendre le premier avion disponible pour les rejoindre. Al Kooper découvre le lendemain que son camarade guitariste a mis les bouts alors qu’il reste une journée de studio et une bonne demi-douzaine de morceaux à enregistrer. Kooper n’a d’autre choix que de téléphoner en urgence à quelques guitaristes en espérant que l’un d’entre eux aura une journée de libre à lui consacrer. Jerry Garcia du Grateful Dead et Randy California de Spirit tardent à répondre et c’est finalement Stephen Stills de Crosby, Stills, Nash & Young qui répond présent. Il n’y a quasiment pas de temps additionnel pour composer et répéter proprement des morceaux originaux et Kooper lance ses troupes sur des reprises choisies à la hâte : « It takes a lot to laugh, it takes a train to cry » de Bob Dylan, « Season of the witch » de Donovan et « You don’t love me » de Willie Cobbs. Une petite compo signée Harvey Brooks, « Harvey’s tune », sert à compléter la face 2 de l’album. De cet ensemble, c’est cette version extraordinaire de onze minutes de « Season of the witch » qui tire son épingle du jeu et pousse vers les hauteurs cette session avec Stephen Stills, qui s’avérait moins puissante que celle avec Mike Bloomfield. Il existe de nombreuses reprises de ce morceau magique (Julie Driscoll, Sam Gopal, Vanilla Fudge, Joan Jett…) mais cette interprétation par Stills et Kooper est souveraine.
Sorti d’affaire et après avoir ajouté en overdubs une section de cuivres sur certains passages, Al Kooper peut donc éditer cette « Super session », créditée à Mike Bloomfield, Al Kooper et Stephens Stills (qui n’aura donc jamais côtoyé physiquement Bloomfield sur ce coup). L’album, quasiment schizophrène avec son blues fabuleux à la Paul Butterfield Blues Band en face 1 et ses revisites plus psychédéliques en face 2, se classe à la 12e place des charts américains lors de sa sortie fin juillet 1968 et sera certifié disque d’or. Il est depuis une figure incontournable de l’histoire du blues rock US. Près d’une trentaine de rééditions ont continué la carrière de cet album. Cette nouvelle version nous vient du label Audio Fidelity qui le réédite en SACD. Mais que ce soit en cassette, en vinyle, en CD, en MP3 ou en cylindre pour gramophone, cet album enchante toujours autant les oreilles.
Pays: US
Audio Fidelity
Sortie: 2014 (réédition, original 1968)