SPEAR, Roger Ruskin – Electric shocks

Roger Ruskin Spear peut être aujourd’hui un nom quelque peu oublié mais il faut néanmoins se souvenir qu’il fut membre d’un des groupes anglais les plus inclassables de sa génération, le Bonzo Dog Doo-Dah Band. Ce nom réveillera sans doute quelques souvenirs musicaux chez la vieille garde des amateurs de psychédélisme et de progressif de la fin des années 60 et du début des années 70. Car c’est là que se situe le cœur historique de la carrière du Bonzo Dog Doo-Dah Band, également connu sous le nom de Bonzo Dog Band qui commit, dans un registre rock arty à influences jazz et music-hall, quelques albums dont « Gorilla » (1967), « The doughnut in granny’s greenhouse » (1968), « Tadpoles » (1969) et « Keynsham » (1969) restent les plus significatifs. Ce groupe connaît un petit succès dans les charts anglais avec une 40e place pour « The doughnut in granny’s greenhouse » et une 36e pour « Tadpoles ».

Le Bonzo Dog Band se disloque en 1972 et ses membres s’aperçoivent qu’ils sont toujours contractuellement liés à leur maison de disques United Artists (qui produit aussi les albums d’Hawkwind et des Groundhogs). Parmi eux, le multi-instrumentiste Roger Ruskin Spear (qui a pris le prénom de son père Ruskin Spear, peintre britannique de renom) se demande comment honorer son contrat en sortant un album solo. Le personnage est assez excentrique et ses antécédents familiaux artistiques le portent tout naturellement à l’expérimentation, le croisement des genres et l’avant-garde.

Pour réaliser son premier album solo, Spear convoque une petite troupe d’amis, parmi lesquels on trouve le critique rock Chris Welch (qui tiendra la batterie), Andy « Thunderclap » Newman (qui, avec son groupe Thunderclap Newman, obtiendra un gros hit en 1969 avec sa chanson « Something in the air »), Peter Banks (premier guitariste de Yes et futur Flash), Steve Waller et Roy Hollingworth (guitares). Mais avant cet album, Andrew Lauder, responsable de production chez United Artists, est très suspicieux quant à la plus-value artistique que Spear peut apporter sur un disque. De ce fait, le bon Roger est incité à sortir un premier EP, « Rebel trouser » (1971), qui servira de test et d’examen de passage auprès des cadres de United Artists, avec possibilité de sortir un album si le EP est bien reçu.

Les choses se passent bien et Spear enregistre « Electric shocks », disque un peu fou qui repose essentiellement sur des interprétations farfelues et excentriques de morceaux inspirés du jazz des années 30 et du music-hall anglais. Les amis de Spear entrent et sortent des studios Felsham de Londres au gré des visites et pas mal de musiciens viennent donner un petit coup de main. On trouve même, fait incroyable, les rockers américains des Flamin’ Groovies qui viennent enregistrer « Mattress man », traité façon doo-wop.

Tout sauf sérieux, « Electric Shocks » représente l’esprit aventureux et insensé des Seventies. Roger Ruskin Spear y mélange comédie musicale (« All by yourself in the moonlight »), swing des années 30 (« I’m a fly », « Make yourself a happiness pie », un vieux standard de 1930), ambiances de bars de marins pêcheurs (« The Liberty laughing song ») ou glam rock criard (« Doctor rock ») .Tout cela baigne dans la dérision et l’absurde, est délirant et plein d’esprit mais c’est un style qui a considérablement vieilli depuis quatre décennies.

On trouvera néanmoins un intérêt historique évident à cet album, qui est complété en bonus par les quatre morceaux du EP « Rebel trouser » de 1971. Typique de l’art rock anglais plein d’humour et vaudevillesque, le premier album de Roger Ruskin Spear n’est pas forcément à la portée de toutes les oreilles mais témoigne d’une époque où les artistes n’avaient pas peur de se lancer dans des expériences improbables, au mépris total des obsessions commerciales ou du diktat des maisons de disques.

Pays: GB
Esoteric Recordings ECLEC 2463
Sortie: 2014/08/25 (réédition, original 1972)