THOMAS ET SON GROUPE ELECTROGENE – Thomas et son Groupe Electrogène
A ceux qui se font du souci sur le destin de la langue française et sa place dans la musique pop ou rock, nous les rassurerons avec cet album surprenant et magnifiquement décadent de Thomas et son Groupe Electrogène. Déjà, rien que le nom attire l’attention, on sent le côté foutraque et bricoleur du projet, son aspect à la fois grossier et rusé. Après, il y a la couverture du disque, des louloutes bien nues avec un voile de bonne sœur sur la tête. Ce genre de pochette, qui fera hurler les cathos bon teint et éveillera la curiosité malsaine des gros cochons, avait presque complètement disparu, éliminé du champ de vision par une époque toujours plus moraliste et dévouée à la censure. Ici, la provocation est de retour, et la musique est là pour le confirmer.
Celui qui est responsable de ce classieux coup de pied au derrière s’appelle Thomas Canonne, originaire de Nantes. Ce chanteur longiligne à la voix rauque partage sa vie entre deux passions, le théâtre (il a créé le Théâtre des Cerises en 1998 et travaille depuis des années sur un triptyque théâtral dont deux volumes ont déjà été achevés) et la musique, concrétisée ici avec ce premier album, oscillant entre chanson française, punk littéraire et élucubrations anarcho-alcooliques. Pour ce faire, l’homme est aidé dans sa basse besogne par Ronan Drougard (basse), Hervé Launay (saxophone), Nicolas Mayer (percussions) et Youenn Migaud (guitare).
Il faut ici reconnaître que le bon Thomas bat avec brio les cartes de ses obsessions récurrentes, à savoir la mort par suicide, les addictions qui se boivent ou se fument, les femmes (et particulièrement celles qu’on paie pour aimer) et un humour noir truffé de classe et de délicieuse absurdité. Lorsqu’on écoute et qu’on est plié de rire et d’émotion sur « Le russe sanguinaire », « Le pendu », « Le vélo ivre », les hilarants « Le cancer » et « Claude François » ou les morbides « Rita » et « Lindenberg », on ne peut s’empêcher de penser à de grands modèles comme Jacques Brel ou Arno. Thomas manie l’ironie désabusée et le mauvais jeu de mots comme un Bobby Lapointe qui serait né dans une banlieue ouvrière de Lorraine. Il ponctue ses textes de phrases cinglantes ou dérisoires, suintant la tristesse toujours combattue à coup d’humour désabusé. Les ligues de vertu et de bien-pensance ne seront pas prêtes d’oublier les appels à la sodomie des catholiques dans « Croisade » et les romantiques en phase terminale seront touchés par la mélancolie éperdue et rigolote des « Nems », ode sino-vietnamienne aux amours perdues déclinée avec force jeux de mots culinaires.
Tirons donc notre chapeau à ce très bel album mi punk dans l’esprit, mi chansonnier dans l’âme, salace et digne en même temps, à contre-courant de la pensée unique castratrice, révélant un artiste fier de ses testicules et cependant très attentif à la femme, incroyablement fin à force d’être rugueux. Ce n’est pas simple de cacher son hyper-sensibilité sous des couches de rudes manières mais Thomas et son Groupe Electrogène allient ces deux pôles avec esprit et esthétisme.
Pays: FR
Autoproduction
Sortie: 2014/06/12